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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 6, trad Mardrus, 1901.djvu/96

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les mille nuits et une nuit

apporté les passagers pour y laver leur linge. Je m’y cramponnai d’abord, puis je réussis à me mettre dessus à califourchon, grâce aux efforts extraordinaires dont me rendirent capable le danger et la cherté de mon âme, qui m’était précieuse ! Alors je me mis à battre l’eau avec mes pieds comme avec des avirons, tandis que les vagues se jouaient de moi et me faisaient chavirer tantôt à droite et tantôt à gauche !

Quant au capitaine, il s’était hâté de s’éloigner, toutes voiles au vent, avec ceux qui avaient pu se sauver, sans plus s’occuper de ceux qui surnageaient encore. Ceux-ci ne tardèrent pas à périr, tandis que moi je ramais de mes pieds, en y mettant toutes mes forces, pour essayer d’atteindre le navire que je suivis ainsi de l’œil jusqu’à ce qu’il eût disparu à ma vue, et que sur la mer la nuit tombât, m’apportant la certitude de ma perte et de mon abandon !

Je demeurai ainsi à lutter contre l’abîme durant une nuit et un jour entier. Je fus enfin entraîné par le vent et par les courants jusqu’aux bords d’une île escarpée couverte de plantes grimpantes qui descendaient le long des falaises et trempaient dans la mer. Je m’accrochai à ces branchages et réussis, m’aidant des pieds et des mains, à grimper jusqu’au haut de la falaise.

Alors, échappé de la sorte à une perdition si certaine, je songeai à m’examiner le corps, et je vis les meurtrissures qui le couvraient et le gonflement de mes pieds et les traces des morsures faites par les poissons qui s’étaient rempli le ventre de mes extrémités. Pourtant, je ne ressentais aucune douleur, tant