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histoire d’ibn al-mansour
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si établis dans les festins ; et je me décidai à la fin à en témoigner ma surprise au jeune émir. Je vis aussitôt son visage s’assombrir et je remarquai en lui une grande gêne ; puis il me dit : « Depuis longtemps j’ai supprimé les chants et la musique de mes festins. Toutefois, puisque tel est ton désir, je vais te satisfaire ! » Et à l’instant il fit appeler une de ses esclaves qui vint avec un luth indien enveloppé d’un étui de satin, et s’assit devant nous pour aussitôt préluder sur vingt et un tons différents. Elle revint ensuite au premier ton, et chanta :

« Les filles du destin, les cheveux défaits, pleurent et gémissent dans la douleur, ô mon âme !

La table est pourtant chargée des mets les plus exquis, les roses sont odorantes, les narcisses nous sourient et l’eau rit dans le bassin.

Ô mon âme, âme triste, arme-toi de courage. Un jour l’espoir, de nouveau, luira dans les yeux, et tu boiras à la coupe du bonheur ! »

Elle passa ensuite à un ton plus plaintif, et chanta :

« Celui qui n’a pas savouré les délices de l’amour et goûté son amertume, ne sait ce qu’il perd par la perte d’un ami !

Celui que n’ont pas atteint les blessures de l’amour, ne peut savoir les tourments délectables qu’elles procurent.

Où sont les nuits heureuses aux côtés de mon ami, nos jeux aimables, nos lèvres unies, le miel de sa salive ! Ah ! douceur ! ah ! douceur !