Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 8, trad Mardrus, 1901.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
les mille nuits et une nuit

la sensible, fille de Dalila la fine ! » Ces paroles jetèrent la jeune fille dans une grande douleur et consternation, car aussitôt son père s’écria : « Tu entends toi-même le scélérat ! Il ne se repent pas ! » Et il aspergea à l’instant Ali avec l’eau de la tasse talismanique, en lui criant : « Sois chien ! » Et Ali se trouva de suite changé en chien, de l’espèce des rues ; et le magicien lui cracha à la figure et lui donna un coup de pied en le chassant du palais.

Le chien Ali se mit à errer hors des murs ; mais comme il ne trouvait rien à manger, il se décida à entrer dans Baghdad. Mais aussitôt il fut accueilli par l’immense clameur de tous les chiens des divers quartiers où il passait et qui, à l’aspect de cet étranger qu’ils ne connaissaient pas et qui violait ainsi les frontières dont ils étaient les gardiens, se mirent à le poursuivre à coups de dents jusqu’à leurs limites respectives. Et l’intrus tombait de la sorte de territoire en territoire, partout poursuivi et mordu cruellement ; mais il put enfin se réfugier dans une boutique ouverte qui se trouvait être par hasard en territoire neutre. D’ailleurs le propriétaire, qui était un brocanteur pour les objets de seconde main, voyant ce malheureux chien à la queue entre les jambes poursuivi furieusement par l’armée des autres chiens, prit son bâton et le défendit contre les agresseurs qui finirent par se disperser en aboyant dans le loin. Alors le chien Ali, pour témoigner sa reconnaissance au brocanteur, se coucha à ses pieds, les larmes aux yeux, et le caressa en le léchant et battant de la queue avec émotion. Et il resta auprès de lui jusqu’au soir, en se disant : « Il vaut encore