Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des sources arrosant les gorges arides, les animaux sauvages dociles à l’homme et doux les uns aux autres, le peuple de Dieu reformé, Jérusalem enrichie des dépouilles des nations, leurs rois offrant des présents au Temple.

Fallait-il prendre ces images dans le sens symbolique, comme si le bonheur temporel n’était là que pour marquer une transformation des âmes, religieuse et morale ? C’est ce qu’ont fait les Apôtres, éclairés par l’évidence des réalités spirituelles dont ils étaient témoins et participants.

Les voyants des premières apocalypses ne se sont pas non plus souciés d’un accomplissement strictement littéral. C’est dans Esdras, dans Baruch surtout, parce qu’il est plus imbu des doctrines rabbiniques, qu’on prend plaisir à renchérir sur ces descriptions plantureuses. On ne pouvait exiger une intelligence tout à fait spirituelle des prophéties avant la révélation de Jésus, mais du moins on était en droit d’attendre une juste appréciation de la valeur si différente des divers éléments de la prophétie. À supposer qu’on dût prendre à la lettre la transfiguration de la nature, elle n’était dans les Prophètes qu’une conséquence de l’innocence reconquise, et un renouvellement embelli du cadre où avait été placé le premier homme. C’était donc sur la rénovation religieuse que les livres inspirés avaient mis l’accent : la connaissance et le service de Dieu, son règne auquel serait associée la nature.

Or on ne voit pas que les rabbins aient compris ce rapport. Sauf une ou deux exceptions très remarquables sur lesquelles il y aura lieu de revenir, ils ont donné libre carrière à leur imagination, grossissant comme à plaisir des descriptions déjà si extraordinaires, que leur outrance même avertissait de ne point tout prendre à la lettre.

Ce sont là débauches d’esprit sans agrément de style, divagations sur l’Île des plaisirs, ennuyeuses parce qu’elles sont sérieuses, pénibles au lecteur étranger, parce que ce sérieux vient de l’immense orgueil qui rendait plausibles à Israël toutes les extravagances ordonnées à sa gloire.

La terre devait produire des fruits abondants et merveilleux, qu’on n’aurait aucune incommodité à cultiver, et pas même la peine de cueillir. Assurément il y avait dans l’Écriture des points d’appui pour de semblables chimères, si on prétendait prendre les textes dans le sens littéral. Ézéchiel décrivait la source miraculeuse qui devait sortir du Temple : « Près du torrent, sur sa rive de chaque côté, croîtront toutes sortes d’arbres fruitiers, dont le feuillage ne se flétrira point… Chaque mois ils produiront des fruits nouveaux, parce que ses eaux