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d’un siècle à R. Abahou. Tout cela est dit à propos du psaume xxi, interprété tout entier dans le sens messianique[1].

La clairvoyance des tannas et des amoras n’est donc pas douteuse, non plus que leur application à détourner le sens d’un endroit gênant, et cette inquiétude explique suffisamment qu’ils aient si peu parlé du texte de Daniel. Mais la tradition se perpétua et trouva moyen de se greffer sur un autre texte. Le septième descendant de Zorobabel avait nom ’Anani, et ce nom fut interprété « le nuageux », ou celui qui vient sur les nuées. « Anani, dit le Targum des Chroniques, c’est le Roi Messie qui doit être manifesté[2] ».

Ce nom eut une assez grande fortune dans la littérature plus récente[3].

Le sens messianique de Daniel fut donc toujours admis dans le rabbinisme ; mais il évita soigneusement toute spéculation sur le titre de Fils de l’homme. L’expression en elle-même ne s’imposait pas à l’attention. Cependant, si l’on tient compte de l’attitude de R. Abahou, on supposera, sans calomnier personne, que cette prétérition fut due en partie à une hostilité sourde contre l’interprétation chrétienne.


V. — MANIFESTATION DU MESSIE. SON RÈGNE.


Comment se manifesterait le Messie, sur les nuées, ou sur un âne ?

Le judaïsme pharisaïque qui admettait sans hésiter l’existence humble et modeste de l’homme destiné à devenir le Messie, n’était pas même certain que sa manifestation dut être glorieuse et convaincante pour tous. Il aurait à faire la preuve de son messianisme. La principale devait être le don de juger, en vertu d’une lumière divine, sans qu’il ait besoin d’entendre la cause. Ce don se rattachait comme un septième aux dons de l’Esprit-Saint énumérés par Isaïe[4], mais tandis que les six premiers avaient été accordés à six descendants de Ruth :

  1. Midr. des Psaumes, sur Ps. xxi, 7, p. 179 de mon édition, Wilna, 1891, où d’ailleurs il y a deux fois אותן pour אותו, le pluriel au lieu du singulier.
  2. Targ. sur I Chr. iii, 24 : ענני הוא מלכא משיחא דעתיד לאתגלאה.
  3. Voici, d’après M. Dalman (Der liedende…, p. 38, note), la liste des passages qui font venir le Messie sur les nuées d’après Dan. vii, 13 : IV Esd. xiii, 3 ; Hénoch, xlvi, 62 ; s. Justin, Dial. avec Tryphon, xxxii ; Sanh. 98a ; Midrasch sur Ps. ii, 1 ; Nisthroth R. Siméon b. Iokhaï, dans Bet ha-Midrach de Jellinek, III, p. 80 ; Agadath Berechith (Jell. IV, p. 22, 35) ; Bemidbar r. xiii, 14 ; le texte cité ici de R. Mocheh ha-Darchan ; Comm. de Chron. du xe siècle, éd. Kirchheim de Francfort s. le m. 1874, p. 16. Il se nomme Anani d’après le Targum et le commentaire cité sur I Chr. iii, 24, Tanchuma (éd. Buber) Berechit, 70b ; Ialquṭ Chimeôni, II, 85b ; Agadath Berechith (Jell. IV, 62) ; Ber. r. sur Gen. xxviii, 10 (dans R. Martin, fol. 331), et dans quelques poésies ou prières.
  4. Is. xi, 2 s.