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I. — LA CONVERSION DES GENTILS.


En parlant du messianisme des rabbins, nous avons négligé un point capital : la place que leur théologie faisait aux Gentils dans le nouvel ordre de choses. C’est qu’il est plus aisé de comprendre leur pensée en l’éclairant par les faits.

Le judaïsme alexandrin a conçu de hardis desseins. Philosophie, histoire, littérature, tout fut employé pour prouver aux Gentils la supériorité de la loi de Moïse sur leurs spéculations, son antiquité, son influence sur les plus belles productions de la pensée grecque. On espérait donc conquérir l’estime de l’hellénisme, sinon gagner les âmes à la foi juive. Cette tentative hardie sort complètement de notre cadre ; nous avons dit, à propos de Philon, le peu qu’elle contient de messianisme.

Le rabbinisme n’eut certainement pas un plan aussi arrêté. Avait-il du moins hérité de l’esprit des prophètes, spécialement de ce grand cœur d’Isaïe, qui invitait tous les peuples à servir le Dieu d’Israël ? Quelle attitude a-t-il prise vis-à-vis des Gentils ? A-t-il sérieusement cherché à les convertir ? Ces points ont été et sont encore l’objet de controverses ardues, et, s’il n’est pas impossible de les traiter avec impartialité, cette impartialité sera malaisément reconnue de ceux qui ont pris parti pour ou contre avec une certaine animosité.

Les paroles des prophètes qui invitaient tous les hommes au salut étaient formelles. On en trouve l’écho dans l’admirable parole de Hillel : « Sois des disciples d’Aaron, aimant la paix, poursuivant la paix, aimant les créatures, et les amenant à la Thora »[1]. Il est injuste d’en conclure qu’Hillel n’aimait les hommes qu’à la condition qu’ils fussent juifs ; c’est parce qu’il les aimait déjà qu’il les voulait fidèles à la Thora ; et comment méconnaître dans ces mots un prosélytisme très réfléchi ? Hillel n’avait pas seulement le zèle de l’apostolat ; il en avait le don, et savait attirer par sa douceur ceux que les exigences de Chammaï avaient rebutés. Ces historiettes ont leur place ici, quoiqu’elles aient été souvent citées ; elles jettent d’ailleurs un certain jour sur d’autres manières de voir du judaïsme[2].


Baraïta : Un païen se présenta devant Sclianiniaï et lui dit : « Combien avez-vous de lois ? — Deux : la loi écrite et la loi orale. — La loi écrite, j’y croirai ; mais non

  1. Aboth, i, 12.
  2. b. Chabbath, 31a, traduction de M. Israël Lévi, Revue des études juives, t. LI, p. 7 s.