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l’Empire. Les Juifs regardaient toujours du même côté. Tout ce qui menaçait la papauté leur était de bon augure et un présage de l’avènement du Messie.

On en citera un exemple[1]. Lorsque Charles VIII se précipita comme un torrent sur la péninsule italienne, Alexandre VI inquiet se renferma au château Saint-Ange. Les temps avaient été durs pour les Juifs, chassés d’Espagne et de Portugal. Ils crurent que l’invasion française marquerait la fin de la papauté. On avait fixé en 1490 la délivrance messianique. Puis on étendit « les douleurs » jusqu’en 1495. Le roi de France n’était pas le Messie, mais le roi du Nord qui met un terme à l’abomination[2]. La Rome papale, comme la Rome impériale, est désignée sous le nom d’Édom. L’an 5263 depuis la création du monde, soit l’an 1503, vit l’apparition d’un Messie juif, Ascher Lemlein.

Peu après parut un nouveau Messie qui était, chose étrange, issu de la gentilité ! I! se nommait Salomon Molko, « son roi », c’est-à-dire le roi élu de Dieu[3]. Dans une sorte de poème en hébreu barbare, il se regarde comme le messager du salut, le courrier messianique, qui, ceignant son épée flamboyante, conduira les siens de l’obscurité à la lumière. Était-ce donc seulement un précurseur du Messie ? Il périt sur le bûcher, vers 1528.

Dans leurs polémiques contre les chrétiens, les Juifs s’abstiennent de parler de l’épée flamboyante, mais ils soutiennent toujours comme Tryphon que le Messie « sera un homme qui réunira les dispersés, qui rétablira Jérusalem et le sanctuaire, et qui ne renouvellera pas la doctrine ».

Un polémiste inconnu s’exprimait ainsi en 1617[4]. Cinquante ans plus tard se produisait la sensationnelle manifestation de Sabbathaï Cevi[5]. M. David Kaufmann, qui a publié récemment d’intéressantes pièces relatives à sa détention à Constantinople en 1666, est frappé de l’intensité du mouvement messianique : « Des milliers de juifs affluèrent, en effet, de toutes les localités de la Turquie d’Europe pour rendre visite au faux Messie pendant qu’il séjournait sur la rive asiatique, ven-

  1. Emprunté à M. S. Krauss : Le Roi de France Charles VIII et les espérances messianiques, dans la Revue des études juives (1er janv. 1906) d’après le colophon du ms. héb. du Vatican in-folio n° 187 (catal. Assemani) et le Sefer ha-kanah.
  2. C’est le pape, nommé האפיור (sic).
  3. Un poème messianique de Salomon Malkho (en réalité מָלְכוֹ, par M. David Kaufmann, dans la Revue des études juives, t. XXXIV, p. 121-127.
  4. Deux polémistes italiens, par M. J. Bergmann (Revue des études juives, t. XL, p. 188-205).
  5. Sabbathaï Cevi (Revue des études juives, t. XXXIV, p. 305-308), par M. David Kaufmann.