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d’Israël, elle aurait abandonné le terrain du judaïsme ; si elle avait regardé le Messie comme étant à la fois le fondateur d’une vie religieuse nouvelle et l’agent du salut éternel, elle ne serait pas seulement un acheminement vers le christianisme, elle serait le christianisme lui-même. Or l’apocalyptique n’a fait aucun pas utile, elle n’a même pas montré la voie.

Ce qu’il faut reconnaître, c’est qu’elle a su apprécier l’importance des problèmes nouveaux qui s’imposaient à l’attention des Israélites — comme des autres peuples ; — elle leur a donné les solutions qui découlaient de l’enseignement orthodoxe dans Israël depuis le retour de la captivité, mais elle n’a pas su concilier ces solutions avec les anciennes prophéties messianiques. Loin de renoncer à l’idéal temporel d’Israël, elle l’a encore exagéré jusqu’à l’exaspération, en même temps qu’elle était dominée par des préoccupations plus hautes. Le tableau nouveau qui est l’agrandissement ou la transfiguration de l’ancienne prophétie, c’est celui qu’a tracé le christianisme. L’apocalypse se place entre les deux, comme un cliché photographique tiré deux fois, où toutes les images seraient juxtaposées et mêlées de façon à ne présenter qu’un ensemble confus. Et ce ne sont pas seulement plusieurs apocalypses rapprochées qui formeraient ce mélange : il n’en est aucune un peu considérable qui ne soit une tentative désespérée pour concilier des notions que l’auteur ne pouvait ni embrasser dans leur étendue, ni ranger dans leur perspective vraie. L’apocalypse n’a pas abordé de plus hauts sujets que l’ancienne prophétie ; elle a affecté de se complaire dans le mystérieux et l’inaccessible, sans égaler jamais le profond sentiment religieux des prophètes. C’est ce qu’il nous faut voir de plus près, à propos de Dieu, de l’homme et du Messie.

On dit volontiers que le Dieu de l’apocalyptique est plus transcendant. C’est là un terme fort vague. Il n’est pas plus puissant que le Dieu d’Isaïe[1], ni plus sage que le Dieu de Job[2], ni plus juste que le Dieu d’Abraham[3], ni plus miséricordieux que le Dieu de Moïse[4], ni plus longanime que le Dieu d’Élie[5]. Mais il habite plus loin. On a essayé de le rendre plus imposant et plus sublime, et pour cela on n’a rien trouvé de mieux que de l’éloigner. Il ne convient plus à sa Majesté de venir converser parmi les hommes ; quand on veut le

  1. Is. xl, 15 ss.
  2. Job, xxvi.
  3. Gen. xviii, 22-33.
  4. Ex. xxxiv, 6.
  5. I Rois, xix, 9 ss.