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d’Israël, la communauté sainte, la plante de justice[1]. Le jugement est encore ici le seul passage entre le présent et l’idéal à venir.

Il domine de la même façon la troisième description[2] qui n’a probablement pas le même auteur. Celui-ci divise tous les temps en deux époques, séparées par le jugement. En attendant ce moment décisif que deviennent les âmes ? Chacun savait, de par la tradition antique, qu’elles étaient dans le Chéol. Mais qu’y faisaient-elles ? Ce qui est nouveau ici, c’est la description de ce Chéol, où les rangs sont marqués comme si un premier jugement était déjà prononcé. Hénoch y voit quatre compartiments distincts. A travers l’obscurité du texte on croit distinguer une place spéciale pour Abel et ceux qui ont souffert comme lui, et une région lumineuse avec une fontaine pour les justes ; à ces deux compartiments sont opposés deux lieux de souffrances ; dans l’un les pécheurs les plus coupables, qui n’en sortiront, au jour du jugement, que pour être châtiés davantage ; dans l’autre ceux qui ont péché moins grièvement ou qui ont déjà été punis ici-bas ; ces derniers ne quitteront pas leur triste séjour, mais c’est pour eux un moindre mal. Le grand jugement ne fera donc que confirmer une sentence déjà rendue[3]. C’est là un point considérable. Mais l’eschatologie de l’auteur n’en est pas plus spirituelle pour cela. Les justes jouiront d’une vie nouvelle, probablement après une résurrection mentionnée d’une façon au moins implicite. La suite nous montre l’arbre de vie, maintenant relégué au bout du monde, transplanté après le jugement en terre sainte, auprès de la maison de Dieu, roi du siècle. Son odeur donnera aux justes une existence plus longue que celle des anciens patriarches[4]. En face des justes, qui sont évidemment installés sur la montagne du Temple, s’ouvre la vallée maudite où les blasphémateurs seront punis pour toujours. L’antithèse est entre les justes et les pécheurs. Le bonheur des justes se déroule sur la terre, à Jérusalem[5], parce que c’est la cité de Dieu, mais sans accentuer le triomphe national. Ce bonheur ne finira pas[6] ; du moins l’auteur n’a rien prévu

  1. Cette plante de justice (x, 16) n’est pas le Messie ; cf. lxii, 8 ; lxxxiv, 6 ; xciii, 2. 5. 10, où il est aussi question d’Abraham.
  2. Hén. xii-xxxvi.
  3. C’est donc par une sorte de régression de la doctrine que Lactance a pu écrire : Nec tamen quisquam putet animos post mortem protinus judicari. Nam omnes in una communique custodia detinentur, donec tempus adveniat, quo maximus judex meritorum faciat examen (De div. Inst. lib. VII, c. xxi).
  4. xxv, 6.
  5. La ville n’est pas nommée, mais décrite avec ses trois vallées qui se terminent en une seule ; la description topographique n’est cependant pas sans difficultés.
  6. xxvii, 3 : εἰς τὸν ἅπαντα χρόνον. Ce qui n’est pas en parfaite harmonie avec xxv, 6.