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pour une période ultérieure. La résurrection est supposée admise plutôt qu’enseignée ; elle est attribuée à l’action de l’arbre de vie, à la nourriture qu’il fournit, à son parfum qui pénètre jusqu’aux os[1], image qui rappelle aussitôt le roi assyrien respirant le fruit de l’arbre sacré.

Telle est cette apocalypse, assurément fort remarquable. Le jugement de Dieu domine tout. Rarement on a dépeint avec plus de force le trouble que le péché produit dans le monde. Les vrais coupables de ce désordre sont les anges déchus ; c’est à eux que va l’indignation de l’auteur. Il s’élève donc très haut et sa haine contre les pécheurs ne paraît inspirée ni par le sentiment national, ni par l’esprit de secte. Son idéal est le retour à l’innocence primitive. Cependant il ne lui suffit pas de dérouler à nos yeux les destinées du monde. Il ne s’inquiète pas seulement des justes et des pécheurs de l’avenir. Il y a, depuis Abel, des justes qui attendent leur récompense, des pécheurs qui ont déjà commencé d’être châtiés. C’est sur ce point que son eschatologie est neuve. Elle consistera seulement à associer les justes du passé aux justes de l’avenir dans le bonheur rétabli par le jugement. Et même, ce qui est vraiment neuf, ce sont surtout les détails sur le péché des anges et sur la situation des âmes ; tous les principes se trouvaient déjà dans ce qu’on nomme l’apocalypse d’Isaïe : le grand jugement de Dieu sur le monde et même sur « l’armée d’en haut » [2], suivi d’une ère de bonheur à laquelle tous les justes sont invités ; même Isaïe affirmait plus clairement la résurrection[3], et il est plus facile d’interpréter dans un sens spirituel son tableau du festin des élus. La première partie d’Hénoch est donc comme un début d’apocalypse. Elle était connue de l’auteur du livre des Jubilés[4]. Mais de plus elle paraît antérieure à la persécution d’Antiochus qui a si vivement surexcité le sentiment national. Elle ne doit rien à Daniel. On peut donc la placer avant 170 av. J.-C. L’eschatologie du début d’Hénoch est cosmique, puisqu’elle prévoit un monde absolument nouveau, théâtre de la justice absolue ; elle est morale puisqu’elle affirme un jugement final qui frappera les pécheurs et récompensera les justes ; mais le monde à venir n’est pas encore tout à fait transcendant, puisque les images du bonheur futur sont seulement la reproduction embellie des tableaux de la Genèse.

On pouvait concevoir une plus grande différence entre le monde

  1. xxv, 5. ὁ καρπὸς αὐτοῦ τοῖς ἐκλεκτοῖς εἰς ζωὴν εἰς βοράν… 6. αἱ ὀσμαὶ αὐτοῦ ἐν τοῖς ὀστέοις αὐτῶν.
  2. Is. xxiv, 21.
  3. Is. xxvi, 19.
  4. Vers 135 av. J.-C. Jubilés, iv, 17-23 fait allusion à Hén. éth. i-xxxvi et lxxii-lxxxii.