Page:Le messianisme chez les Juifs.pdf/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et après cela (viendront) des semaines nombreuses qui s’écouleront innombrables, éternelles, dans la bonté et dans la justice, et dès lors le péché ne sera plus nommé jusqu’à l’éternité.

Par son terme, cette eschatologie est cosmique et transcendante ; mais le début vise une ère de prospérité qui paraît être celle des guerres macchabéennes, aboutissant à la fondation d’un royaume fidèle à Dieu. C’est ce royaume qui est la maison du grand Roi ; on pourrait cependant l’entendre d’une reconstruction du Temple. Quoi qu’il en soit, si c’est bien là du messianisme historique, il est encore plus collectif que celui des Jubilés. Les exécuteurs du jugement, ceux qui préparent le bonheur des justes, sont les Israélites fidèles armés de glaives. Cette petite apocalypse, très apparentée au début d’Hénoch, et cependant animée d’une ardeur guerrière, pourrait dater des premiers temps macchabéens. Elle ne fait aucune place au Messie personnel.

Il paraît, mais presque seulement pour la forme, un peu comme dans les Jubilés et les Testaments, dans une partie toute voisine du livre d’Hénoch qui doit être de la même époque, peut-être un peu plus récente[1]. Hénoch raconte à son fils Mathusala toute l’histoire du monde qu’il a vue en songe, depuis Adam, taureau blanc, jusqu’au Messie, figuré aussi par un taureau. Cette longue et fastidieuse allégorie qui met en présence les brebis d’Israël et les divers animaux sauvages de la Gentilité ressemble à Daniel comme un devoir de maître d’école à une page de génie, mais enfin elle s’en inspire.

Les patriarches sont des taureaux, les Israélites des brebis. Noé et Moïse deviennent des hommes pour fabriquer l’arche et le tabernacle. Les Égyptiens sont des loups, les Assyriens et les Chaldéens des lions et des tigres ; les sangliers sont les Édomites ou les Samaritains. Il y a cependant une théorie fort originale, celle des soixante-dix pasteurs auxquels sont confiées les brebis. Ce sont de mauvais pasteurs qui en tuent plus qu’il ne serait nécessaire, c’est-à-dire qu’ils font périr des innocents. Ces pasteurs sont en même temps des puissances et des époques ; en d’autres termes déjà des Éons, les maîtres auxquels Dieu a abandonné la direction du monde, en attendant qu’ils soient jugés. Cette conception très pessimiste de la Providence, reléguée très haut dans le ciel, est bien éloignée de la confiance des prophètes envers leur Dieu. L’auteur estime que les Israélites ont souffert beaucoup plus qu’ils n’ont mérité. Leurs maîtres étrangers, plus coupables qu’eux, n’auraient pu commettre ces crimes sans une

  1. lxxxv-xc.