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taureau sauvage[1]. On est revenu à l’âge d’or des patriarches, sous la présidence du Messie. Ce Messie, on l’a remarqué, ne paraît que pour jouir du triomphe ; il ne vient pas du ciel, mais naît parmi la communauté régénérée. C’est un ornement dû à la tradition prophétique, ce n’est pas un Sauveur. Les Gentils ne sont point exclus du salut. Toutefois ce sera à la condition d’obéir aux Juifs. On leur offre sans doute le sort imposé par Jean Hyrcan aux Iduméens qu’il contraignit à recevoir la circoncision[2]. Aussi cet universalisme n’empêche pas le caractère très nationaliste de tout le système, beaucoup plus marqué que dans le début d’Hénoch. Dieu intervient miraculeusement, mais le glaive des justes et de leurs chefs joue un grand rôle, avant comme après, et ces justes sont les Israélites fidèles. Le Messie lui-même n’est que la plus haute personnalité du peuple. L’emploi de l’allégorie permettait de ne pas le désigner autrement. Cette obscurité voulue dispensait l’auteur de concilier la tradition davidique avec les prétentions des Asmonéens.

Jean Hyrcan a seulement une très grande corne. Chacun pouvait préciser à sa fantaisie les origines du taureau blanc ; personne ne pouvait reprocher à l’auteur de manquer de respect envers la dynastie régnante ou de fidélité à la tradition.

Mais ce qu’il y a peut-être ici de plus significatif, c’est que l’accent de la prophétie porte sur la période messianique terrestre et presque naturelle. La transformation ultime n’est indiquée que par un trait, et on dirait qu’ici, comme dans le livre des Jubilés, qui date de la même époque, il y a seulement passage du très bien à quelque chose de plus parfait encore, dans la même ligne idéale.

On retrouve un messianisme semblable dans l’un des plus anciens morceaux des poésies attribuées aux Sibylles, le troisième livre. Le plus considérable des passages eschalologiques du IIIe livre[3] est une description des espérances nationales des Juifs, telles qu’ils souhaitaient les faire connaître aux Gentils, au moment où ils avaient encore confiance dans la réalisation de leurs rêves de gloire, sous le règne de Jean Hyrcan[4].

  1. D’après la correction généralement admise, on suppose que l’hébreu re’êm avait été transcrit ρημ, que le traducteur éthiopien aurait pris pour ῥῆμα, de sorte qu’il a traduit : « le premier au milieu d’eux devint la parole ». Dans ce cas la traduction « taureau sauvage » convient mieux que « buffle » (Martin, Gry, etc.), qui marquerait plutôt une déchéance. L’aurochs était le type de la force.
  2. Josèphe, Ant. XIII, ix, 1 ; Bell. I, ii, 6.
  3. Vers 573-808. Les passages 367-380 (prospérité) et 538-544 (châtiment) ont un caractère et surtout un cadre trop général pour qu’on puisse les faire rentrer dans l’eschatologie juive.
  4. M. Schürer admet la date de 140 av. J.-C, (Geschichte…, III, p. 434 ss.) ; M. Geffcken