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Comme apparition directe de l’universel, la plastique abstraite neutralise l’individuel. Actuellement, en s’efforçant vers la généralisation, on ne fait qu’accentuer la « particularité » de l’œuvre architecturale. Il en est de cette dernière comme de chaque forme stylisée ou ramenée à son expression géométrique : le particulier ressort d’autant plus fortement que l’on a écarté plus complètement le capricieux. Aussi, voyons-nous de nos jours l’apparition d’édifices du style sévère des temples, mais ce n’est pas là le nouveau.

L’esprit nouveau abolit le particulier. Il ne suffit pas que la forme se quintessencie, que les proportions du tout soient harmonieuses : il faut, au contraire, que l’œuvre toute entière ne soit que l’expression plastique des rapports et disparaisse en tant que particularité.

L’édification par masses est préférable à celle par unités. Dans la première, le particulier est déjà supprimé par la composition qui naît d’elle-même. Mais en regardant bien, la composition est également la condition première dans la construction unitaire : de même que dans la Peinture, c’est surtout la composition qui doit supprimer l’individuel.

Toutefois, dès le commencement de l’Architecture, celle-ci, par sa nature propre, fut une tentative inconsciente vers l’expression plastique abstraite. En effet, dans l’Architecture, il ne fut pas possible de déformer le moyen plastique aussi radicalement que dans la Peinture et la Sculpture. Ce ne fut qu’en appelant ces dernières à son aide que la pierre mathé­matique devint çà et là une apparition naturelle. Aussi, fallait-il la décadence pour que le tout prenne l’aspect plus capricieux des choses de la nature.

La Peinture, par contre, avait à monter de la plastique naturelle à la plastique abstraite. Ainsi, pour elle, la route aboutissant à l’exacte plastique des rapports fut plus dure. On comprend donc que là où l’Archi­tecture, par la facilité de son moyen plastique, passait sans la voir près de l’expression plastique pure, la Peinture, elle, arriva la première à la conception claire que l’art est le plus pur dans l’expression plastique du seul rapport esthétique.

Quoique la Sculpture possédât dans le prisme un moyen plastique exact, elle préféra, comme la Peinture, la plastique plus ou moins naturelle. Quelquefois, elle atteignit la stylisation, et même la spiritualisation de la forme, mais elle resta toujours morphoplastique.

Peu à peu, l’apparition naturelle acquit tellement ses droits de cité, que l’on a fini par l’estimer indispensable à ces arts. Même l’Architecture partage son sort. En général, on ne la reconnaît pas comme « art » si elle arrive à l’expression du beau. Par la plastique pure des rapports et refuse de s’inspirer de la nature ou d’emprunter à la Sculpture et la Peinture pour se vêtir. On voit par là à quel degré d’impureté est arrivée la conception esthétique : on ne veut reconnaître comme « art » qu’une expression plastique habillée par la forme délimitée. Ainsi, l’on désigne quelquefois la Plastique Nouvelle dans la Peinture par le mot « décoration » parce qu’au lieu de nier l’individuel dans la plastique, elle l’a réduit en plans rectangulaires colorés. Si, d’une part, la vieille concep­tion continue d’être un obstacle à la reconnaissance, continue d’être le plus grand ennemi de l’esprit nouveau, d’autre part, beaucoup d’artistes craignent la grande difficulté de ne disposer pour créer que d’un nmyen plastique aussi simple.

De quelque façon que cela soit, l’esprit nouveau doit se manifester dans tons [sic] les arts sans exception. Parce qu’il y a des différences dans les arts entre eux, ce n’est pas une raison pour que l’un vaille moins que l’autre ; cela peut mener à une autre apparition mais non à une appa­rition opposée. Dès qu’un art est l’expression plastique de l’abstrait, les autres ne peuvent plus être en même temps l’expression plastique du