Page:Le neo-plasticisme (Mondrian 1920).djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 7 —


naturel. Ces deux ne vont pas ensemble : de là, jusqu’à présent, cette hostilité mutuelle. La Nouvelle Plastique abolit cette inimitié : elle crée la réunion de tous les arts.

La Sculpture ne peut être plus longtemps la servante de l’Architec­ture, comme souvent sous l’ancienne conception. Elle n’est plus la repré­sentation plastique d’idées ou des choses : elle n’existe plus morphoplastiquement. Par son moyen plastique quasi-abstrait, il est possible qu’elle devienne l’expression plastique esthétique par l’opposition équilibrée de l’expansion et du limité, et ceci sans avoir à compter avec les exigences utilitaires ou constructives.

Si la Sculpture et l’Architecture anciennes fixent jusqu’en un certain point l’espace autrement vide et indéfini, la Sculpture nouvelle (l’Archi­tecture nouvelle également) le fait beaucoup plus en réduisant le caprice du naturel par la composition équilibrée et en portant toute son attention sur les rapports.

La Sculpture et l’Architecture, jusqu’à présent, anéantissent par la division l’espace en tant qu’espace. La Sculpture et l’Architecture nouvelles doivent anéantir l’œuvre d’art en tant qu’objet ou chose.

Chaque art possède son expression spécifique, sa nature particulière « Tandis que le contenu de tous les arts est le même, les possibilités d’extériorisation plastique diffèrent. [sic] Ces possibilités naissent pour chaque art sur son terrain particulier et y restent cantonnées. Chaque art possède ses propres moyens d’expression. Il s’ensuit que chaque art doit trouver pour lui-même les transformations nécessaires de ses moyens plastiques, moyens qui resteront délimités par leurs propres frontières. C’est encore pour cette raison que les possibilités techniques de tel art ne doivent pas être jugées d’après celles d’un autre art. Elles doivent être jugées en elles-mêmes et par rapport à l’art envisagé. » (De Stijl, an. 1, page 3.)

« De quelque manière que cela soit, dans une période de spiritualité avancée et malgré les différences dans les moyens plastiques, tout art, quel qu’il soit, s’efforce vers l’expression plastique en fonction des rapports équilibrés, car c’est l’équilibre des rapports qui exprime le plus purement l’harmonie et l’unité, propres à l’esprit. » (De Stijl, an. 1, page 4.)

Si les arts dits plastiques s’expriment plus ou moins par la matière grossière, la Musique et l’Art du verbe (en tant que « son ») n’emploient qu’une matière beaucoup plus ténue. C’est une différence capitale qui en fait des arts entièrement dissemblables.

Si l’on transforme le bruit en son, les propriétés du bruit restent valables. Le bruit revêt-il la forme délimitée? Si la couleur prend forme, on peut la neutraliser par opposition de couleur ou de ligne droite : la même réduction est-elle possible pour le son?

L’Art du verbe est la plastique du son et de l’idée. Même le verbe figuré contient le son, quoique nous ne l’entendions pas. Dans le verbe actuel, l’apparition purement abstraite est voilée, troublée par le son matérialisé, l’extériorisation plastique traditionnelle et l’idée abâtardie. L’Art du verbe ne peut donc être l’expression plastique immédiate de l’universel par le moyen plastique dont il dispose aujourd’hui. Et pour­tant... c’est l’évidence même que la beauté abstraite finira par se montrer également dans ce dernier art. De même que la Musique, l’Art du verbe devra, pour atteindre une plastique vraiment nouvelle, parcourir un trajet beaucoup plus long que les arts dits plastiques.

Il s’ensuit que, plus il est facile d’épurer les moyens plastiques d’un art, plus vite il pourra atteindre la Plastique Nouvelle. Les différents arts n’arrivent pas eu [sic] même temps à un approfondissement égal, car, étant des apparitions différentes de l’universel, elles ne mûrissent pas à la même époque.