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pour des raisons matérielles et techniques, il est très difficile de tracer son image exacte.

A présent, chaque art s’efforce de s’exprimer plus directement par son moyen plastique et cherche à le libérer dans la mesure du possible.

La Musique tend vers la libération du son, la Littérature vers celle du verbe. Ainsi, en épurant les moyens plastiques, ils arrivent à la plastique pure des rapports. Le degré et le mode d’épuration varient selon l’art et l’époque où ceux-ci peuvent être atteints.

En fait, l’esprit nouveau se révèle par le moyen plastique : il s’exprime par la composition. Cette dernière doit exprimer une plastique équilibrée en fonction de l’individuel et de l’universel. Le tragique dominateur doit être aboli par la composition et le moyen plastique ensemble : car si l’apparition plastique n’est pas composée en opposition constante et neutra­lisante, le moyen plastique reviendrait à l’expression de la « forme » et serait à nouveau voilé par le descriptif.

Ainsi, le Néo-Plasticisme dans l’art n’est pas uniquement une question de « procédé ». Dans la Plastique Nouvelle, et par elle, le procédé change. La pierre de touche de l’esprit nouveau, après la composition, est juste­ment ce que l’on appelle si souvent à la légère « le procédé ».

« C’est par l’apparition que l’on juge si une œuvre d’art est réelle­ment l’expression plastique pure de l’universel. » (De Stijl, an. 1 N. B., [sic] page 65.)

Parce que la Sculpture et la Peinture ont pu réduire les moyens plastiques primitifs à un moyen plastique universel, elles peuvent s’exprimer plastiquement et effectivement dans l’exactitude et l’abstrait. L’Architec­ture, par sa nature même, dispose déjà d’un moyen plastique libéré de la forme capricieuse de l’apparition naturelle.

Dans la Plastique Nouvelle, la peinture ne s’exprime plus par la corporéïté apparente qui confère l’expression naturelle. Au contraire, elle s’exprime plastiquement par le plan dans le plane. En réduisant la corporéïté tridimensionale dans la peinture à un plan, elle exprime le rapport pur.

Toutefois, l’Architecture ainsi que la Sculpture, ont par leurs moyens plastiques, l’avantage sur la Peinture par d’autres possibilités.

Par son moyen plastique, l’Architecture est une apparition esthé­tique et mathématique, donc exacte et plus ou moins abstraite. Etant composition de plans opposés et se neutralisant, elle est l’expression plastique exacte du rapport esthétique équilibré dans l’espace. La Plastique Nouvelle ne voit pas l’Architecture, pas plus que la Peinture, comme morpho­plastique. C’était là la vision ancienne. Malgré la forme apparente dans la plastique architecturale, elle n’est pas forme définie et délimitée — pas plus que la composition des plans rectangulaires en couleur dans la Plastique Nouvelle de la Peinture. La forme réelle est ce qui est fermé, ou rond, ou courbe, en opposition avec la forme apparente du rectangle où les lignes se coupent, se touchent en tangente mais ne cessent pas de continuer.

Vue comme opposition équilibrée de l’expansion et du limité dans la composition plane, l’expression architecturale (malgré sa troisième dimen­sion) cesse d’exister en corporéïté et comme objet. Son expression abstraite apparaît même plus directe que dans la Peinture.

Toutefois, l’abstrait ne se réalise pas par la stylisation, il n’apparaît pas seulement par la simplification et l’épuration. Car l’abstrait reste l’expression plastique en fonction de l’universel : c’est l’intériorisation la plus approfondie de l’extérieur et l’extériorisation la plus pure de l’intérieur. (De Stijl, an 1, N. B., art. 3.)

Aujourd’hui, l’on voit l’Architecture s’épurer et se simplifier, mais peu réalisent l’expression plastique de l’abstrait.