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et améliorera les perfections apportées dans la Syntaxe, la Typogra­phie, etc., déjà trouvées par les Futuristes, les Cubistes et les Dadaïstes. Il se servira également de tout ce qui lui vient de la vie, la science et la beauté. Mais avant tout il sera dirigé par la perception plastique pure. (De Stijl, an. 2, Trialogue, scène 3.)

Dans la Littérature classique et romantique, on trouve également l’expression de l’action des contraires... mais sans la plastique par le verbe et voilée par la description. Le Dr H. Schoenmaekers a essayé de démontrer que Bernard Shaw dans son Candida oppose des contraires psychologiques. De même, on voit souvent dans la littérature de l’ancienne Inde deux choses qui s’anéantissent en apparence. Ainsi, les contraires ne se manifestent pas encore dans l’art comme expression plastique du verbe (morphoplastique). En se concentrant dans « l’extérieur », on arriva ces temps-ci à l’expression plastique par analogies en les plaçant simplement les unes à côté des autres. Alors, l’objet et son action changent, s’élargissent dans l’expression, mais cette transformation plastique ne contient pas encore la plastique complètement équilibrée. Néanmoins, l’ancienne conception de la composition est démolie et la nouvelle peut faire son apparition. De « l’extérieur-individuel » mûrissant, les choses naissent en totalité et grâce à cela l’universel arrive a l’expression plastique directe.

Etant plus abstrait que l’apparition naturelle, le verbe représente le contenu et l’apparition de tout ce qui est. Il fait contenir tout un monde de beauté dans peu de signes ou sons. L’Art nouveau veut exprimer ce monde exactement déterminé dans la plastique. Actuellement, tout est vague dans le mot singulier. Ce vague s’éclaircit un peu par la compo­sition et la proportion, mais reste néanmoins voilé par la forme. Le verbe, comme forme, est une limitation et cette limitation dépend en partie de nous-mêmes. Chacun voit une boule à sa façon, mais pour chacun une boule reste une boule. Nous voyons alors le contenu des choses en rapport avec notre contenu propre, nous pénétrons plus ou moins jusqu’à l’universel et résolvons ainsi un peu de notre vision particulière. Une boule est un monde en soi et un monde hors de soi : notre personnalité n’en voit qu’une partie. Elle ne voit que la partie qui arrive à sa conscience, en tant que résultante de notre vie extérieure. Ainsi, la boule devient la représenta­tion de notre pensée subjective en fonction de cette boule.

L’Art dépasse la pensée particulière comme l’inconscient (l’universel) dépasse la conscience individuelle. Si, dans le moment du créer esthétique, l’universel (l’inconscient) perce le conscient, quand arrive enfin la vision entière des choses, le particulier ne compte plus. C’est pour cette raison que la vocation de l’art réside dans la suppression plastique de la pensée particulière.

Les Futuristes ont voulu libérer le verbe de l’idée. D. Braga dit : « L’Art se passera désormais de l’idée. C’est l’Idée qui charroie le passé. Elle fixe les perceptions, leur donne la forme logique qui leur permet de durer par les cerveaux. Marinetti hait l’intelligence. » Mais... si notre conscience attribue au verbe un contenu, une signification, cette dernière doit forcément arriver jusqu’à nous en passant par l’intelligence. Est-il possible de ne faire aucun cas de l’intelligence dans l’homme moderne si ce dernier ressent l’émotion esthétique? L’homme nouveau réunit le sentiment et l’intelligence dans une unité. Quand il pense, il sent, quand il sent, il pense. L’un et l’autre sont en lui, malgré lui, vivant automatique­ment. (De Stijl, an. 1, N. B., art. 5.) L’émotion du beau vibre constamment dans tout son être : ainsi arrive-t-il à l’expression plastique abstraite de tout son être.

Dans la mentalité passée, tantôt l’intelligence, tantôt le sentiment agit : tour à tour, l’un domine l’autre. Cette mentalité sépara les deux et