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fit naître l’inimitié. Si les Futuristes haïssent l’intelligence, c’est donc qu’ils pensent encore, dans cette question-ci, selon l’ancienne mentalité. Par l’esprit nouveau, le sentiment et l’intelligence changent de nature : la pensée particulière cesse d’exister. Car la pensée particulière est autre chose que la pensée concentrée et créatrice qui, elle, est un sentiment de recueillement. La première produit l’art descriptif et morphoplastique, la seconde l’apparition purement plastique. C’est l’universel en regard de l’individuel.

La Nouvelle Plastique est d’accord avec le Futurisme en voulant l’élimination du « moi » dans l’art. Elle va même plus loin qu’eux. Car on voit par l’art des Futuristes qu’ils ne connaissent pas les conséquences de la Plastique Nouvelle. Ils voulaient remplacer « la psychologie de l’homme, » désormais épuisée, par « l’obsession lyrique de la matière. Le Futurisme fait appel, avant tout, à la sensation. C’est l’effrénéïsme de l’ambiance, or, selon une formule empruntée à Marinetti lui-même, une physicologie lyrique de la matière. (D. Braga.) »

Aussi, « leur » lyrique reste descriptive et dans la peinture, les Futu­ristes tombaient même dans le symbolisme. Malgré leur pénétration de la matière, ils ne sont pas arrivés à l’expression plastique de toute la matière (matière et énergie). Ils n’ont pas abouti à l’expression de l’un et de l’autre dans un rapport équilibré.

Par une concentration active, le « penser-en-beauté » ou le « sentir-en-beauté » peut donc dominer dans l’œuvre d’art, ou bien, ils peuvent être réunis dans une seule manière d’être. Le premier mode produit la prose, le second la poésie et le troisième l’Art nouveau-du-verbe.

Le penser qui tend uniquement vers la vérité reste dans le domaine de la raison pure et n’est pas un art. Toutefois, la pensée créatrice est plastique. La Philosophie aussi bien que l’Art exprime plastiquement l’universel : la première s’exprime en vérité, le second en beauté. Comme au fond la vérité et la beauté ne font qu’un, il n’est pas logique de nier la parenté évidente de ces deux plastiques. L’Art n’est que l’expression plastique de l’homme dans sa totalité ; rien ne doit donc manquer.

Quelques esprits avancés rejettent la logique entièrement : est-ce là libérer l’art? L’art n’est-il pas l’extériorisation de la logique?

On ne réussit pas plus à libérer le verbe de la pensée en rangeant les mots les uns à côté des autres sans qu’il y ait un lien quelconque comme les Dadaïstes l’ont voulu : « Chaque vocable-îlot doit, dans la page, présenter des contours abrupts. « Il sera posé ici (ou là tout aussi bien) comme un ton pur ; et non loin vibreront d’autres tons purs mais d’une absence de rapports telle qu’elle n’autorise aucune association de pensées. C’est ainsi que le mot sera délivré de toute sa signification précédente, enfin! et de l’évocation du passé. » (André Gide, en parlant du mouvement Dada.)

De même que dans la plastique des autres arts, nous voyons dans la Musique qui est derrière nous la confusion de l’actif et du passif, quoique çà et là il y ait une construction plus évidente, une opposition plus marquée (par exemple dans les fugues de Bach). Mais la plupart du temps, la plastique constructive est voilée par la mélodie descriptive. Le plus souvent, le rythme, comme en plastique picturale ou sculpturale, était capricieux. Cela était admissible dans un temps où le sentiment individuel dominait : cela en était l’expression juste. A présent, ce n’est plus admissible. L’esprit nouveau exige, dans la Musique comme ailleurs, une plastique équivalente de l’individuel et de l’universel en fonction d’une proportion équilibrée. Pour y arriver, il faut réduire l’individuel et mettre en avant l’universel afin d’atteindre une dualité équivalente, contrariante et neutralisante. Cette dualité doit s’extérioriser plastiquement dans le son