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comme la Plastique Nouvelle dans les arts dits plastiques s’extériorise par une dualité d’opposition normale (dans le sens mathématique) : l’actif et le passif, l’intérieur et l’extérieur, le masculin et le féminin, l’esprit et la matière (qui ne font un que dans l’universel). Mais comment dans le son qui reste bruit, dans l’ondulation arrondie, mettre en avant l’un et intérioriser l’autre? La Musique, elle, devra le chercher le trouve déjà. Ne voit-on pas dans la Musique Nouvelle, le descriptif, l’ancienne mélodie perdre déjà sa puissance dominatrice? N’est-il pas apparu dans la Musique « une autre couleur », couleur moins naturelle, un autre rythme, plus abstrait? N’existe-t-il pas un commencement d’opposition neutra­lisante? (par exemple dans quelques essais de « style » du compositeur hollandais Van Domselaer).

N’empêche que la mentalité ancienne mettra encore longtemps obstacle à l’esprit nouveau : surtout en musique car cette dernière se prête admirablement à l’expression tragique. Mais la vie continue : la vie ordinaire par ses nécessités réelles influencera l’art, qui par cela même évoluera plus vite. Hélas, l’art — pour le faible — est le terrain par excellence pour s’endormir dans la traditionnelle beauté sur le rythme berceur et rond de l’agréable et du joli.

La vie multiple, même en dehors de l’art, rongera la vieille musique et soutiendra la nouvelle. De nos jours paraît, au milieu de la musique traditionnelle, un peu brutalement peut-être, le jazzband qui ose des démolitions brusques de la mélodie, qui par des bruits secs et étranges ose s’opposer à la rondeur du son et, quoiqu’il n’ait pas encore abandonné les instruments anciens, leur oppose néanmoins d’autres, plus modernes. Les traditionnalistes auront beau crier, l’esprit nouveau est en marche et rien ne l’arrêtera.

Si la puissance financière n’était pas l’apanage du passé, l’esprit nouveau (devenu conscient dans quelques individus parce que trop réprimé par l’entourage) se montrerait plus parfait et dans un cercle plus étendu. Toutefois, actuellement, l’esprit nouveau n’a rien à gagner d’un bouleversement total de notre société : tant que les hommes ne sont pas « nouveaux » il n’y a pas de place pour « le nouveau ».

Sans amoindrir, pour la Musique, l’effort vers « l’état nouveau », il faut bien reconnaître que, si jusqu’à présent il y ait eu beaucoup d’innovations, la grande rénovation n’est pas encore venue. Ceci est également vrai pour la Peinture précédant le Néo-Plasticisme. On ne pourra jamais apprécier assez le travail et le mouvement des Cubistes, Futuristes ou Dadaistes, mais tant qu’ils se serviront de la morphoplastique, même en l’affinant ou en la stylisant, ils n’arriveront pas à la mentalité nouvelle et ne démoliront pas complètement l’ancienne.

Il est clair que les « Néo-Plasticiens » désirent « le nouveau » dans tous les arts et essayent d’y consacrer leurs forces. Mais sans moyens financiers, il n’est pas possible de le réaliser expérimentalement. Si les circonstances sociales et matérielles étaient favorables, cela ne serait pas impossible, puisqu’au fond tous les arts ne font qu’un. Mais, actuellement, chaque métier a besoin de toutes ses forces. Le temps des « Mécènes » est passé, et le Néo-Plasticien ne peut pas imiter un Da Vinci. Tout ce qu’il peut faire (et cela on ne le lui permet même pas), c’est d’utiliser la logique en exposant ses idées sur les autres arts.

Comme nous l’avons dit plus haut, le moyen plastique de la Musique doit être intériorisé. La gamme musicale avec ses sept tons était basée sur la morphoplastique. De même que les sept couleurs du prisme s’unissent dans l’apparition naturelle, de même les sept tons de la Musique se fondent comme unité apparente. Dans leur ordre naturel, les tons comme les couleurs expriment l’harmonie naturelle.

La Musique moderne a essayé de l’annihiler par la plastique proportionnelle