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mais n’osant toucher ni à la gamme naturelle ni aux instruments usités, on continue malgré tout la plastique naturelle.

L’ancienne harmonie représente l’harmonie naturelle. Elle s’exprime dans l’harmonie des sept tons, mais pas dans l’équivalence de la nature et de l’esprit. Pour « l’homme nouveau », il n’existe que cette dernière. La nouvelle harmonie est une harmonie double, c’est-à-dire dualité d’harmonie spirituelle et d’harmonie naturelle. Elle se révèle comme harmonie intérieure et harmonie extérieure : les deux en extériorité intériorisée. Car seul le plus extérieur peut s’exprimer plastiquement par l’harmonie naturelle, le plus intérieur ne s’exprime pas plastiquement. La nouvelle harmonie ne peut donc jamais s’exprimer comme la nature : elle est l’harmonie de l’art.

Cette harmonie de l’art est si totalement différente de l’harmonie naturelle que nous aimons mieux (dans la Plastique Nouvelle) employer le terme de rapport équivalent que « harmonie ». Toutefois, nous ne devons pas attacher au mot équivalent le sens de symétrique. Le rapport équiva­lent s’exprime plastiquement par des contraires, par des oppositions neutralisantes, qui, dans le sens ancien, ne sont pas harmonieuses.

Les trois couleurs fondamentales, le rouge, le jaune et le bleu restent des couleurs prismatiques malgré la distance qui les sépare dans le prisme et malgré le Néo-Plasticisme qui ne les exprime pas dans leur apparition spectrale. Si nous exprimons ces couleurs selon leurs lois scientifiques ou naturelles, nous ne ferions qu’exprimer d’une autre façon l’harmonie naturelle. Comme la Plastique Nouvelle veut abolir le naturel, elle est logique en plaçant les trois couleurs dans la Peinture et dans la Musique les tons correspondants dans d’autres rapports de dimension, de force, de couleur ou de tonalité tout en conservant l’équilibre esthétique. Ainsi pourra-t-on dire de la Plastique Nouvelle qu’elle n’est pas harmonieuse (selon l’ancienne acceptation du mot) qu’elle n’exprime pas l’unité là justement où elle l’exprime en réalité dans une perfection plus grande, car ne supprime-t-elle pas l’unité apparente du naturel?

C’est cette « dysharmonie » (ancienne conception) qui sera combattue et attaquée partout dans l’art nouveau tant que l’on ne comprendra pas l’harmonie nouvelle. Dans notre temps caractérisé par l’effort vers l’unité dans tous les domaines, il est d’une grande importance de distinguer l’unité réelle de l’unité apparente, l’universel de l’individuel,. Ainsi nous distinguons l’harmonie esthétique de l’harmonie naturelle. Comme être humain, nous avons la tendance de concevoir l’unité comme une vision, une idée individuelle. Notre « moi conscient » cherche l’unité mais dans une mauvaise voie. Notre « moi inconscient » étant lui-même « l’unité », la porte naturellement vers la clarté, d’abord voilée, puis clairement (quand l’inconscient devient conscient, voir ci-dessus). Aussi, voyons-nous se détruire successivement les unités apparentes (donc harmonies naturelles) jusqu’au moment où l’unité vraie, l’harmonie réelle se dévoile.

Le conscient individuel n’emploie que l’expression naturelle, même s’il veut procéder logiquement, s’il « raisonne ». Mais l’inconscient en nous nous avertit que nous avons à suivre dans l’art une voie particulière. Et si nous la suivons, ce n’est pas un signe d’un acte inconscient. Au contraire, cela montre dans notre conscience ordinaire une plus grande conscience de notre inconscient : l’inconscient écarte l’individuel conscient avec toute sa science. Dans l’art, on ne peut ignorer l’être humain lui-même et c’est sa relation avec « ce qui est », et non « ce qui est » seul, qui crée l’art.

Nous avons une tendance d’appliquer dans l’art la conception ancienne, c’est-à-dire naturelle, de l’harmonie. Et c’est cette conception qui nous fait tenir à la succession et la relation naturelles des sept cou­leurs spectrales et des sept tons correspondants. Mais, dans le passé,