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Le déséquilibre entre l’individuel et l’universel crée le tragique et s’exprime en plastique tragique. Dans ce qui est, soit forme, soit corporéïté, la naturel domine : ceci crée le tragique. (De Stijl, an. 1 N B., art. 8.)

Le tragique de la vie conduit au créer artistique : l’art, parce que abstrait, et en opposition avec le concret naturel peut précéder la dispa­rition graduelle du tragique. Plus le tragique décroît, plus l’art gagne en pureté.

L’esprit nouveau ne peut se manifester qu’au sein du tragique. Il ne trouve que la forme vieillotte, la plastique nouvelle restant encore à créer. Né dans l’ambiance du passé, il ne peut s’exprimer que dans la réalité vitale de l’abstrait. (De Stijl, an. 1 N. B., art. 9.)

Parce que partie du tout, l’esprit nouveau ne peut se libérer entiè­rement du tragique. La Plastique nouvelle, l’expression de la réalité vitale de l’abstrait ne s’est pas entièrement libérée du tragique, mais elle a cessé d’en être dominée.

Par contre, dans l’ancienne plastique, le tragique domine. Elle ne peut se passer du tragique et de la plastique tragique.

Tant que l’individuel domine, la plastique tragique est nécessaire, car c’est elle qui, dans ce cas, crée l’émotion. Mais, dès qu’une période de plus grande maturité est atteinte, la plastique tragique devient insupportable.

Dans la réalité vitale de l’abstrait, l’homme nouveau a dépassé les sentiments de nostalgie, de joie, de ravissement, de douleur, d’horreur, etc. ; dans l’émotion « constante » par le beau, ceux-ci se sont épurés et appro­fondis. Il atteint une vision beaucoup plus profonde de la réalité sensible.

Les choses ne sont belles ou laides que dans le temps et l’espace. La vision de l’homme nouveau s’étant libérée de ces deux facteurs tout s’unifie dans l’unique beauté.

L’art a toujours voulu cette vision, mais étant la forme plastique, et suivant l’apparition naturelle, il n’a pas pu la réaliser en pureté et restait la plastique tragique avec l’intention de son contraire.

L’Art du verbe fait ressortir fortement cette volonté. La tragédie, la comédie, l’épique, le lyrisme, le romantisme ne sont que des expressions diverses de la plastique tragique.

Dans la mesure du possible, et tant qu’elle ne dégénéra pas en impressionnisme proprement dit (une autre forme de la plastique tragique) celle-ci trouva une première opposition dans le réalisme pur parce que vision plus objective.

Dans la Peinture, le Néo-Impressionisme, le Pointillisme, le Divi­sionnisme tentèrent d’abolir la corporéïté dominant dans la plastique, en supprimant le modelé et la vision perspective habituelle. Mais ce n’est que dans le Cubisme que nous le trouvons érigé en système. Dans ce dernier, la plastique tragique perdit sa puissance dominatrice en majeure partie par l’opposition de la couleur pure et l’abstraction de la forme naturelle.

De même, dans les autres arts, le Cubisme, comme le Futurisme, et plus tard le Dadaïsme, épurèrent et démolirent la domination du tragique dans la plastique.

Mais la Peinture Abstraite Réelle ou Néo-Plasticisme « s’en libéra » en étant une plastique réellement nouvelle. En même temps, il s’éleva au-dessus de l’appréciation et de la conception anciennes qui exigent la plastique tragique.

En général, on ne se rend pas compte que le déséquilibre est une malédiction pour l’humanité et l’on continue à cultiver ardemment le sentiment du tragique. Jusqu’à présent, le plus extérieur domine en tout. Le féminin et le matériel régissent la vie et la société et entravent l’expression spirituelle en fonction du masculin. Dans un manifeste