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LE POISSON D’OR

Je n’hésite pas à déclarer, contrairement peut-être à l’honnêteté de vos impressions, que mon attaque était téméraire et folle. Au point de vue des affaires, cet homme était bardé de pied en cap, et je n’avais, moi, qu’une arme de hasard, bonne tout au plus à provoquer la révision d’un tout petit procès. Je parlais de millions et il ne s’agissait que de douze mille francs dans ma quittance.

À un point de vue plus élevé, quelle preuve, je dis même quelle preuve morale avais-je contre cet homme que mon instinct accusait d’assassinat ?

La fortune, dit-on, favorise les audacieux, mais encore faut-il que l’audacieux ne soit pas un extravagant appelant en duel, le fourreau vide à la main, un maître d’escrime qui brandit une épée.

— Monsieur Corbière, reprit le Judas avec calme, vous êtes beaucoup plus jeune que je ne croyais. Ceci n’est pas un mauvais compliment, bien au contraire : la preuve, c’est que j’augmente mes offres, tant pour vous que pour vos amis et clients dont le sort m’intéresse. Je consens à doter le jeune Chédéglise, quoique je ne lui doive rien ; je m’engage à tester en faveur de Mlle de Keroulaz, par-devant notaire, s’entend, si Mlle de Keroulaz, comble mes vœux en devenant ma femme. Ainsi finiront toutes les contestations et… voyons, ne liardons pas : mille louis pour vous, monsieur Corbière, cela vous va-t-il ?

Mille louis d’un coup ! Ce pince-maille qui, tant en revenu qu’en gain de commerce, touchait plus de cent mille francs par an et trouvait moyen de ne pas dépenser mille écus ! Ce fut comme le son de trompette qui réveille l’ardeur engourdie du soldat.

— Monsieur Bruant, répliquai-je, poussé mal-