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LE POISSON D’OR

gré moi dans cette voie aventureuse ou j’étais entré un peu aveugle, oseriez-vous demander la main de Mlle de Keroulaz à son père ?

— À son grand-père, voulez-vous dire ?

— J’ai voulu dire et j’ai dit : à son père, M. Yves de Keroulaz.

Le cercle de ses yeux se teignit de sombre.

— Il est mort… balbutia-t-il.

Je tirai pour la seconde fois de ma poche la quittance et je la dépliai lentement.

Ce fut comme un voile livide qui tomba sur son visage. Il répéta pourtant, sans avoir conscience de ce qu’il disait :

— Il est mort… bien mort !

Ces gens ont la mémoire du papier timbré comme les brocanteurs se souviennent d’un tableau, ou les maquignons, d’un cheval. Au premier coup d’œil, il avait reconnu la quittance que je lui montrais pourtant à distance respectueuse.

Il resta un instant comme frappé de la foudre, puis il frotta ses paupières injectées de rouge, et tout son corps eut un mouvement convulsif.

— Vous voyez, dis-je, que j’avais mes motifs pour vous déranger, monsieur Bruant.

— Clabaudages ! fit-il par habitude, clabaudages ! j’ai des ennemis… Tous les ci-devant sont ligués contre les patriotes, mais je suis en règle. Laissez-moi examiner cela.

Il mettait déjà ses lunettes. Je refusai catégoriquement de lui confier la quittance.

— Alors, c’est un faux ! s’écria-t-il. D’où cela sort-il ?

— Ce n’est pas un faux, et vous le savez bien,