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LE POISSON D’OR

monsieur Bruant. Regardez attentivement M. Yves de Keroulaz passe pour s’être noyé il y a quatre ans. Ce papier a-t-il l’air d’être resté sous l’eau pendant quatre années ?

Le Judas jeta sournoisementun regard rapide autour de la chambre, Ses yeux sanglants roulaient et il ressemblait à une bête fauve qui va s’élancer, mais il était moins terrible au fond qu’en apparence et je ne peux pas me vanter d’avoir eu la moindre lutte à soutenir. J’ai vu cela plus d’une fois dans ma carrière, mesdames : un coquin enrichi manque de courage comme un loup repu.

Il voulut parler, et sa voix resta dans sa gorge ; il essaya de se lever et retomba sur son siège, en proie à une terrible attaque de nerfs. Nul ne peut savoir ce qu’il m’eût accordé en ce premier instant d’épouvante.

Me voilà donc dans cette singulière position d’être l’hôte forcé de mon Judas. L’attaque de nerfs fut suivie d’une longue syncope. Je mis la maison sens dessus dessous ; les médecins furent appelés, et M. Bruant coucha dans mon propre lit.

Vers deux heures après minuit, je m’étais jeté sur un matelas, à côté de ma table de travail, et je cherchais en vain le sommeil, malgré ma fatigue extrême. J’étais tourmenté plus que je ne puis le dire ; je me demandais laborieusement ce qui pourrait résulter de tout ceci. Le premier mouvement de bravoure était passé : je jugeais sévèrement et justement mon escarmouche que l’impromptu seul pouvait excuser. Toute cette histoire me semblait désormais un roman mal fait, dont l’absurde agencement ne pouvait pas avoir une chute heureuse.

Et cependant mon instinct, sinon ma raison, s’obs-