Page:Le poisson d'or.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
LE POISSON D’OR

tinait à voir au fond de cette mêlée des éléments de victoire. En tout cas, mon hésitation n’allait point jusqu’à concevoir seulement la pensée d’abandonner mes amis Keroulaz. La quittance n’était plus pour moi une pièce valant douze mille francs ; au fond même de mon embarras, je voulais mes millions ou rien. Le sort en était jeté.

La sonnette de ma chambre à coucher retentit faiblement dans le silence nocturne. J’entendis le bruit d’un pied nu dans le corridor, et la voix effrayée de Goton me dit tout bas :

— Dormez-vous, monsieur Corbière ?

— Qu’y a-t-il, demandai-je en sautant, tout habillé que j’étais sur mes pieds.

— C’est le monsieur de Lorient qui a le grolet (le râle) de la mort et qui ne veut pas de prêtre. Madame est avec lui qui le prêche, mais il dit comme ça qu’il n’y a pas de bon Dieu.

Je ne fis qu’un bond jusqu’à ma chambre à coucher, où M. Bruant ne râlait pas du tout, mais bien se lamentait en criant que c’était sa dernière heure. Il voulait, disait-il, me faire sa confession avant de mourir.

J’ai ouï prétendre par les voyageurs que les crocodiles ont aisément la larme à l’œil. Personne ne pleurait plus volontiers ni mieux que M. Bruant. Dans les livres de cette époque, vous savez comme on abuse de cette alliance de mots : les cœurs sensibles. Eh bien ! notre Judas était de la confrérie des cœurs sensibles, dont Jean-Jacques Rousseau est le président, et qui eut l’honneur de compter Marat parmi ses membres les plus humides.

Il fondait en eau quand j’entrai ; je lui trouvai néan-