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LE POISSON D’OR

moins assez bon visage, et je rassurai maman Corbière, qui croyait sentir déjà une odeur de soufre autour de lui.

— Vertueux jeune homme ! s’écria M. Bruant dès qu’il me vit, je suis bien près de mon dernier soupir. Je m’incline devant l’Être suprême, mais ma raison repousse tous ces dogmes, inventés par des pontifes astucieux…

— Entends-tu garçon 1 s’écria ma mère. Il est roussi à fond !

Je lui fis signe de sortir et je dis au Judas :

— Nous voilà seuls : pas de phrases. Si vous avez une révélation à me faire, faites.

Après avoir poussé deux ou trois longues plaintes, il étancha ses paupières, qui coulaient comme deux fontaines et commença ainsi :

— Monsieur Corbière, j’ai été mal jugé, croyez-moi, la parole des mourants est sacrée. Mon ambition était de réparer les torts de la fortune envers une famille respectable qui ne s’est pas bien conduite avec moi. Je ne suis pas né sous des lambris dorés, et les convenances d’âge n’y sont pas, j’accorde cela ; mais, à part ces deux circonstances, indépendantes de ma volonté, j’ai vécu et je meurs digne de Mlle Jeanne de Keroulaz, à qui, si l’Éternel me prête vie, je veux faire don de toute ma fortune.

Ce disant, il s’accouda sur son lit et me regarda d’un air si étrange, que je reculai mon siège involontairement. Déjà, dans la soirée, j’avais cru apercevoir en lui des symptômes de dérangement intellectuel, mais ce regard parlait tout haut de folie.

-Toute ma fortune répéta-t-il avec emphase. Que dites-vous de cela, monsieur Corbière ? vous ne