Page:Le poisson d'or.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
LE POISSON D’OR

À bas les privilèges des nobles, monsieur Corbière ! À bas les privilèges des prêtres et tous les privilèges, excepté les miens ! J’ai cinquante mille écus de rentes au soleil. J’en aurai cent mille dans dix ans. Qui s’y frotte s’y pique ! Hé, hé ! Voilà le jour qui vient et je vais m’en aller tranquille.

Il se leva avec un calme si insolent, que je renonce à le peindre.

Je ne tenterai même pas non plus, mesdames, de vous dire la figure que je faisais en écoutant cette incroyable bravade. Il y a dans la campagne bretonne une effrayante histoire qui ne doit pas être vraie, mais qui court : l’histoire d’un cynique bandit venant dire à un jeune prêtre, sous le sceau de la confession, comme quoi il avait déshonoré, ruiné et tué par le chagrin son père et sa mère : J’entends le père et la mère du jeune prêtre. C’est horrible à penser. Eh bien, j’étais dans la position du jeune prêtre. Nul vœu ne fermait ma bouche, mais je ne pouvais pas parler. Le scélérat avait mille fois raison dans son extravagante audace. À quoi bon parler ? Quelle créance espérer ? Comment persuader aux juges ou au monde que l’assassin était venu chez moi, avocat de ses victimes, tout exprès pour me confier son sanglant secret ?

J’étais garroté, j’avais un bâillon ; l’idée de mon impuissance me peignait à tel degré, qu’à mon tour j’aurais été peut-être capable d’un acte de folie. Je ne connais guère de vie plus paisible que la mienne, mesdames, et pourtant il ne faudrait pas me demander ce que j’eusse fait si le démon, à cette heure de fièvre furieuse, m’avait mis un pistolet chargé dans la main.

Il n’y avait plus trace de malaise chez M. Bruant,