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LE POISSON D’OR

trait-il, le prix de la grossière imposture. Pour mentir, il ne faut pas être trop subtil.

Quant à sa folie, je ne prendrais pas même la peine de noter cet axiome banal, que la folie peut devenir un précieux instrument, si l’utilité de la sienne ne sautait aux yeux d’une manière frappante.

Sa folie, c’était la vraisemblance même du naïf roman qu’il donnait comme étant une biographie.

Sa folie expliquait tout dans son présent, après avoir en quelque sorte, homologué son passé.

Il y a bien mieux : sa folie garantissait son avenir.

Supposez en effet l’impossible, supposez qu’il me fût permis un jour de mettre en usage l’arme dérisoire que son effronterie m’avait donnée, supposez que je pusse exposer publiquement, dans toute sa hideuse réalité, le drame de cette nuit où il avait pêché le poisson d’or. Folie !

Folie, lors même qu’on eût établi sur preuves irréfragables que l’aveu était sorti de sa propre bouche. Folie double, triple ! folie curieuse ! folie à montrer pour deux sous.

Ma nuit, comme ma journée, se passa en face de Bruant, qui était mon idée fixe. J’avais la tête sur l’oreiller où il avait reposé la sienne, et cela me causait une superstitieuse frayeur. Il emplissait la solitude de ma chambre ; je le voyais et je l’entendais si parfaitement, que, plus d’une fois, ma bouche s’ouvrit pour lui parler et prendre revanche de mon mutisme de la veille. Si, par hasard, vaincu par la fatigue, je tombais dans un engourdissement de quelques minutes, Bruant venait, Bruant le matelot, apportant la barque du sous-brigadier de la douane et la nuit de tempête. Nous nagions tous deux, moi devant, lui derrière, et