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LE POISSON D’OR

je sentais le fendant de son aviron suspendu sur mon crâne. Je criais alors comme un désespéré, et Goton venait m’éveiller, disant :

— Monsieur Corbière, eh ! là ! c’est un rosaire qu’il faut pour les âmes du purgatoire.

D’ordinaire, c’était là mon remède : prier quand je souffrais ; mais, cette odieuse nuit, je ne pouvais pas ; je cherchais, je me torturais la cervelle ; j’inventais, pour exterminer le Judas, des machines dans le genre de sa propre histoire ; moi qui suis à l’eau comme un chien de plomb, je me battais avec lui au fond de la mer. J’avais la fièvre chaude.

Et pourtant ce fut cette nuit que me vint, je ne dirai pas une idée, mais un vague crépuscule d’idée. Certes, avec un pareil homme, il n’y avait pas de ménagements à garder ; d’ailleurs, quand l’avocat a cette opinion que la justice se trompe ou va se tromper, le droit naît pour lui d’agir à outrance. M. Bruant était fou à un certain degré qui devait aller croissant ne pouvait-on le prendre par sa folie ?

Je ne me flattais pas de le connaître en détail, mais j’entrevoyais assez bien la masse de son caractère. D’une manière quelconque, il allait abuser de son triomphe et me berner vaincu ; j’étais sûr de cela. Quelques jours après, en effet, je reçus de lui la lettre suivante


« À Monsieur Corbière, avocat, de Rennes, en mains propres.

« Mon cher monsieur, la présente est pour vous remercier avec reconnaissance des propositions que vous m’avez faites concernant la régie des biens de ma for-