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LE POISSON D’OR

après deux mois, tout ce qui portait la vareuse, depuis Etel jusqu’au Pouldu, se signait en parlant de Bruant, comme s’il se fût agi du diable.

Personne ne songeait à user de violence contre lui, et moi moins que personne, mais une électricité intense se dégage des sentiments du peuple. Bruant se sentait maudit, et il jugeait autrui par lui-même la peur d’être assassiné lui vint.

Il était lâche au milieu de ses audaces. Aussitôt que cette frayeur fut née, il risqua un pas vers la capitulation, et j’entendis parler de lui de nouveau. Il fit plusieurs voyages de Rennes ; toute sa forfanterie tombait graduellement, à mesure qu’il me devinait mieux derrière la réprobation qui l’entourait.

Chose plus grave, il ne jouait plus avec sa folie. À son dernier voyage, il m’affirma que sa guérison était complète.

Je ne lui demandais pas. J’en conclus que sa folie l’inquiétait sérieusement, et je pris des informations à Port-Louis. Je récoltai deux observations seulement, car il avait grand soin désormais de se tenir enfermé quand ses accès le prenaient ; on l’avait vu fuir le long des grèves de Porpus, criant et demandant secours contre des assassins imaginaires ; dans le salon du préfet maritime de Lorient, il avait versé des larmes, disant qu’on le séparait d’une jeune fiancée qui l’adorait, c’était son mot.

Sa double manie était donc de voir des meurtriers attachés à ses pas et de se croire aimé de Jeanne.

Comme Dieu se venge !

Au mois de juin 1806, deux ans après mon premier voyage à Lorient, presque jour pour jour, je reçus un billet de Jeanne, où l’écriture s’effaçait sous les larmes.