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LE POISSON D’OR

Le billet me disait que M. Keroulaz, bien malade, désirait voir Vincent et s’entretenir avec moi avant de mourir. Quelques heures après, Vincent et moi nous prenions le courrier de Brest.

M. Keroulaz et sa fille habitaient maintenant le village de Larmor, en face de Gavre, de l’autre côté de l’eau. Les loyers étaient là moins chers qu’à Port-Louis et ils avaient un air plus pur. Leur maisonnette touchait presque au fameux cabaret de maman Lhermite, surnommée la Tabac, à cause de l’usage immcdéré qu’elle faisait de ce narcotique sous triple forme. C’était une croyance générale parmi les sardiniers que son corps avait été acheté et payé d’avance par un Anglais, pour voir, au moyen de l’autopsie, combien il contenait de tabac. Je ne saurais nombrer, du reste, la quantité de choses que ce même Anglais fantastique achète sur nos rivages de l’ouest.

La brume tombait, quand notre barque, partie du quai de Lorient, accosta la jetée de Larmor. Le jour même, par une singulière coïncidence, on avait fait la bénédiction des couraux, et, comme le vent soufflait d’amont, nous avions croisé en chemin toute une flotte de bateaux attardés. Nos bateliers, en nous montrant dans la rade une coquette embarcation de plaisance qui courait des bords contre le vent avait dit :

— Voilà le côtre du Judas.

Au moment où nous prenions terre, le côtre du Judas changea de bordée et nous laissa voir son arrière, où les derniers rayons du couchant mettaient de rouges étincelles. Vincent me serra le bras en pointant du doigt cette ligne brillante. Je lus : le Poisson d’or.

Vincent ne connaissait rien du drame nocturne qui s’était dénoué par la mort de son frère aîné. Il pâlit