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LE POISSON D’OR

Il reprit presque aussitôt d’un ton tout autre, car la raison lui revenait :

— Au fait, on ne tue pas les gens en pleine foire. Voici des témoins ! Mes amis, vous avez été à mon service. Bonsoir, Senevo, matelot… hé, hé ! nous sommes de bien vieux camarades, nous deux. Je ferai quelque chose pour toi… pour vous tous. Je suis bien plus riche encore que vous ne le croyez, mes enfants. À vous revoir, à vous revoir : il est l’heure de rentrer chacun chez soi, allons-nous-en.

Je n’avais pas encore parlé.

— Restez ! prononçais-je d’une voix impérieuse.

Il s’arrêta, mais il me demanda, en tâchant de garder son calme :

— De quel droit m’arrêtez-vous, monsieur Corbière ;

— Vous avec dit le mot, répliquai-je ; je vous arrête, monsieur Bruant, comme un gendarme prend un malfaiteur au collet !

Son accès faisait trêve et laissait renaître à vue d’œil son effronterie naturelle. Quant à moi, j’ai dit quelle était mon impuissance ; depuis mon arrivée à Lorient, aucun fait nouveau ne s’était produit qui pût me mettre une arme meilleure dans la main, et pourtant j’étais poussé en avant par une force invincible.

— Monsieur Corbière, répartit le Judas froidement, je ne crains que la violence et ma maladie. Mes accès ne me prennent jamais deux fois dans le même jour, et, quand je suis en santé, eussiez-vous à votre service tous vos va-nu-pieds de la côte, vous n’oseriez pas vous attaquer à moi.

— Merci, matelot, dit Seveno qui battait le briquet dans le jardin. On causera ensemble, vous et moi, une fois ou l’autre !