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LE POISSON D’OR

M. Keroulaz était, pour le moment, immobile, les yeux au plafond, les mains en croix sur sa poitrine.

— C’est cette nuit que Penilis pêchera le poisson d’or… murmura-t-il.

Vincent me lança un regard, et son regard voulait dire : Voici le délire de l’agonie qui commence. Jeanne, qui était restée jusqu’alors dans la pièce voisine, vint s’agenouiller silencieusement au pied du lit de son aïeul.

Moi, j’ai une foi enfantine à la parole des mourants. J’avais le cœur serré par un vague espoir, et je m’attendais presque à un événement surnaturel.

— Est-ce que vous avez déniché une autre quittance, monsieur Corbière ? me demanda insolemment le Judas.

Vincent avait laissé la porte libre en se rapprochant du lit, et pourtant M. Bruant n’essayait plus de sortir.

— J’étais venu ici dans une intention de charité, reprit-il ; je ne puis plus rien pour le brave homme qui bat la campagne, mais je propose de me charger de sa petite fille en tout bien tout honneur.

Vincent, hors de lui, leva son poing fermé.

— Tape, monsieur ! cria d’une seule voix l’ancien équipage de la Sainte-Anne : tu as droit !

— Patience, enfant ! ordonna le grand-père.

Il ajouta, avec un sourire qui courut comme un froid par tout mon corps :

— Nous avons d’autres yeux que nous ne connaissons pas et qui ne s’ouvrent qu’à la dernière heure. Je vois ce que je n’ai jamais vu. Avant qu’il soit une heure, Vincent de Chédéglise, tu risqueras ta vie pour sauver celle de cet homme-là ?

— Son regard, fixé au plafond, se tourna lentement