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LE POISSON D’OR

tué son père ? Tenez vous qui croyez en Dieu, suis-je coupable ? Alors, que votre Dieu me foudroie !

Il croisa ses bras sur sa poitrine, provoquant le ciel du regard. Un grand silence l’entoura cette fois, car chacun attendait la foudre. Il eut un rire convulsif ; son exaltation croissait et ses idées se brouillaient.

Au milieu du silence, le mourant dit :

— Chrétiens, priez pour lui !

Bruant haussa les épaules et fit un geste de carnaval. Il était fou en ce moment, autant que le plus fou qui soit à Charenton.

— J’ai dîné chez le premier président de la Cour impériale, prononça-t-il avec fierté. Le procureur général est mon ami… mon ami intime… il viendra chasser sur mes terres aux vacances. J’ai fait pour dix mille francs d’aumônes et de cadeaux à Rennes. Corbière est un petit avocat meurt-de-faim. Il est venu à Pitt et Cobourg ! Lequel vaut mieux d’un patriote ou d’un émigré ? Honneur et patrie ! Mes enfants, je paye dix pots de cidre à chacun de vous… et du dur ! Clabaudages ! clabaudages ! Les pauvres sont jaloux des riches. Je suis en règle, je connais la loi, j’ai toutes les pièces… Venez boire !

L’impression que je ressentis en ce moment vivra en moi jusqu’à mon dernier jour, mesdames. Quand le Judas eut fini de parler, nous entendîmes trois bruits distincts : la mer au loin, la danse sur la place, dans le jardin un murmure lent et monotone. Le grand-père avait dit : Chrétiens, priez pour lui. Les marins, obéissant à la lettre, récitaient tout haut le De profundis.

Personne, parmi ceux qui étaient présents, n’avait eu la pensée d’user de violence pas plus Vincent dans