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LE POISSON D’OR

sa juste colère que les marins dans leur vieille et robuste aversion, mais la pensée de mort était dans tous les esprits ; dans le mien plus encore peut-être qu’en aucun autre. Le grand-père avait dit : Cet homme mourra.

Bruant resta un instant immobile, étonné, effarouché. Il écoutait la prière latine, écorchée par ces rudes voix. Il était frappé vivement. Un nuage tomba sur sa forfanterie, et sa physionomie, qui à chaque instant changeait, trahit une forte souffrance physique.

Quand patron Seveno prononça le requiem æternam dona Domine, il eut un tressaillement par tout le corps.

« Et lux perpetua luceat ei, » répondirent les matelots.

Ce fut le grand-père lui-même qui récita d’une voix claire et calme : Requiescat in pace !

Bruant courba la tête, et sa poitrine rendit un long soupir.

« Amen ! » dit le chœur.

Puis vint un grand silence au dedans. Au dehors, la voix de la mer s’enflait. Et de l’autre côté du mur, le biniou exhalait sa dernière note tandis que la cruelle gaieté des danseurs retrouvait son refrain, un instant oublié :

— À l’eau le Judas ! à l’eau !

M. Bruant fit un pas vers moi et me demanda résolument :

— Que voulez-vous de moi ?

J’étais pris à l’improviste, mais je vivais en quelque sorte dans cette question, et je répondis sans hésiter :

— Nous voulons de vous une large réparation.

En même temps je fermai la bouche à Vincent, qui, sans doute, voulait protester contre tout arrangement.