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LE POISSON D’OR

gent, dit-on, autour du Mont-Saint-Michel, les dangers des sables mouvants.

Le Judas piquait droit à la pointe ouest de l’île et se dirigeait sur le phare ; nous le suivions ; par conséquent, le courant nous prenait par le flanc gauche et nous forçait à tenir le cap sur le centre de l’île pour ne point trop dériver. Le vent, qui sans cesse augmentait, restait debout et avait beaucoup de prise sur la coque volumineuse de la chaloupe, tandis que le Judas échappait complètement à son influence contraire. Il savait cela ; il avait choisi sa route.

Nos hommes ruisselaient de sueur et ne se plaignaient point ; patron Seveno était silencieux à la barre ; Vincent doublait Jean-Pierre, qui venait d’avoir les fièvres et qui fatiguait à son aviron. J’étais debout à l’avant et mes yeux ne pouvaient ne détacher du Judas, qui, après deux grandes heures d’efforts, semblait aussi frais qu’à la première minute.

Car il y avait deux grandes heures que tout cela durait. Le vent nous apportait déjà les bruits de Groix, et je venais de compter onze coups au clocher de la paroisse.

— Il n’avait pas besoin de nous pensai-je.

Seveno m’entendit et murmura, d’un ton qui excita ma curiosité :

— Levez le nez, monsieur l’avocat.

Je levai le nez, ou plutôt les yeux, et un cri m’échappa. Groix, qui, depuis notre départ de Larmor, apparaissait à l’horizon comme une ligne sombre, avait démesurément grandi dans tous les sens et ne conservait plus ses profils si bien connus de moi.

Groix est un roc d’une lieue le long, coupé carrément à ses deux extrémités, qui de loin dominent la