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LE POISSON D’OR

mer comme des murailles de château. Non seulement Groix me semblait six fois plus haut qu’à l’ordinaire, mais ses extrémités s’étendaient de droite et de gauche à perte de vue ; c’était une ligne plus noire que l’encre ; elle fermait l’horizon dans un bon tiers de sa circonférence, englobant les deux phares qui s’étaient rapprochés l’un de l’autre. Au-dessus, le ciel brillait d’un incomparable éclat, et pas un nuage n’était autour de la lune.

— Qu’est-ce que cela ? demandai-je, stupéfait.

— Le Judas ne chante plus, répondit Seveno.

C’était vrai. Il y avait plus de vingt minutes qu’on n’avait entendu la voix de M. Bruant.

— Mais qu’est-ce que cela ?

Ce ne fut pas Seveno qui me répondit ce fut cela.

Cela se déchira soudain en une ligne brisée en zigzags. Il en sortit une lueur livide qui dessina dans le noir les vrais contours de l’île de Groix, telle que je la connaissais.

Cela n’était pas l’île de Groix, qui n’avait point grandi. Cela c’était un nuage énorme durement accusé, rigide, comme s’il eût été tracé sur le bleu laiteux du ciel par un pinceau trempé dans du cirage.

L’éclair amena un coup de tonnerre sourd, long, lointain, qui fit retourner les rameurs. Vincent dit :

— Le vent du su-sur-ouas (sud-sud-ouest).

Et patron Seveno commanda :

— Appuie partout !

Je ne sais comment ce ciel splendide et cette mer miroitante prirent tout à coup à mes yeux une apparence sinistre. Les impressions sont vives et profondes, la nuit, au milieu de l’Océan. Tout, autour de moi, se teignit de deuil. Dans le silence qui suivit, j’entends