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LE POISSON D’OR

une gigantesque rumeur qui ne partait point d’un endroit déterminé, mais qui venait de partout à la fois et enveloppait l’âme de frayeur.

On nageait dans ce bruit sourd, mais immense, plus terrible que la voix même de la foudre.

La foudre se taisait. Le nuage montait, dévorant petit à petit les marges lumineuses du firmament. L’éclair ne se renouvela pas.

Mais le vent, qui tout à l’heure faisait rage, tomba comme par enchantement. La lame, appesantie, s’étala en larges houles, formant une succession de montagnes et de vallées dont les surfaces étaient lisses et huileuses. Vous eussiez dit du cristal noirci. L’air se fit étouffant jusqu’à opprimer la respiration.

Il n’y avait plus de clapotis ; autour de nous, tout était muet, sauf l’aviron grinçant sur le bordage mais au loin, le bruit augmentait dans une proportion formidable.

— Le Trou-Tonnerre chante, dit Seveno.

Je parle pour moi, désormais ; je ne sais ce que ressentaient mes compagnons, silencieux et accomplissant leur devoir avec une régularité mécanique. La chaleur était écrasante, et pourtant une angoisse subtile donnait froid à mes os.

Je ne suis pas marin, et l’habitude est pour quelque chose dans le courage. Je n’ai pas honte de dire que j’aurais donné beaucoup pour avoir le pied sur la terre ferme.

— Est-il fort, votre bateau, patron ? demandai-je.

— Quant à ça monsieur Corbière, il en a vu bien d’autres, répondit Seveno avec calme. Mettez-le grand largue devant le temps, avec deux ris à sa misane, et quand il venterait la peau du diable, il ira son chemin jusqu’en Hollande. Mais ce n’est que du bois ; il faut