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LE POISSON D’OR

de la toile pour soutenir le bois. Ces deux perches toutes nues le fatiguent, vous voyez bien, et la houle le secoue parce qu’il ne se défend pas… sans compter que si le Judas nous mène là-bas parmi les roches de l’ouest, écoutez donc, les cailloux sont des cailloux et le bois n’est que du bois !

— Pour sûr approuva l’équipage tranquillement.

J’ignore si, par ce discours, patron Seveno comptait me rassurer.

Il se leva à demi, sans quitter la barre, et jeta un regard perçant par-dessus les têtes des rameurs.

— Ça y est, grommela-t-il ; nous ne pouvons plus virer de bord.

— Pourquoi ? demandai-je.

— Parce que l’olibrius commence à peiner il a peur.

J’avais perdu de vue M. Bruant depuis quelques instants, tout occupé que j’étais des menaces du ciel. Je cherchai notre nageur à la distance où je l’avais laissé je ne le trouvai point : nous l’avions gagné d’au moins deux cents brasses, dans ce court intervalle, non qu’il nageât moins vite, mais la chute du vent avait supprimé le principal obstacle que nous eussions à vaincre. Il ne me fallut qu’un coup d’œil pour reconnaître qu’en effet nous ne pouvions plus virer de bord ; M. Bruant n’était plus le même homme : au lieu de coordonner ses mouvements avec cette lenteur magistrale qui est le principe même de l’art du nageur, il précipitait brasse sur brasse et gaspillait ses forces comme un enfant épouvanté par le froid de l’eau. Ses élans étaient saccadés ; il ne leur laissait pas le temps de produire leur effet et semblait avoir perdu tout à fait ce calme efficace, cette savante économie d’efforts qui naguère excitait mon admiration.