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LE POISSON D’OR

couler comme ça tout de suite. Y a l’habitude. On l’a déjà repêché en attaque à Port-Louis. Il avait perdu la boule, sauf le respect que je vous dois, et il faisait tout de même la planche comme un cœur !

Un souffle de vent chaud nous caressa le visage. En même temps, un voile se répandit sur la mer en avant de nous. Je levai machinalement la tête. Les choses avaient marché là-haut plus vite que je ne l’aurais imaginé. Ce grand nuage, qui semblait immobile dans sa masse compacte et sombre, montait, montait. Il mordait en ce moment la pleine lune, et son bord opaque attaquait si nettement le disque lumineux, qu’on eût dit le croissant du premier quartier. Cela dura un instant, puis la lune disparut, laissant à la lèvre du nuage une trace argentée qui s’éteignit à son tour. Derrière nous, la mer étincela pendant une minute. Elle se voila, et après elle la côte, qui tout à l’heure montrait ses grèves blanches, se cacha dans la nuit.

— Écoutez fit Seveno.

Les avirons restèrent suspendus.

— Il barbotte, dit Jean-Pierre. Nage, les enfants !

C’était en effet comme le bruit d’un malheureux qui se débat dans l’eau. Chacun de nous essaya de percer l’obscurité, mais ce fut en vain on ne voyait plus le Judas. En revanche, parmi les tumultueux fracas de la tourmente qui approchait, un cri lugubre, un cri dont jamais je n’entendis le pareil, vint à nos oreilles.

Puis la voix de Bruant qui râlait, disant :

— On m’étrangle ! on m’étrangle Au meurtre ! À moi ! à moi !

L’écume jaillit sous l’avant du bateau. Je me penchais au dehors pour examiner, car la voix m’avait paru être tout proche, et à chaque instant je m’attendais à