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LE POISSON D’OR

découvrir le corps flottant du Judas. Mais rien : ni corps, ni voix. Nous allions dans une obscurité profonde gouvernant à l’aide du feu de l’ouest, sans savoir désormais si nous courions après Bruant ou si nous l’avions dépassé. Patron Seveno marmottait entre ses dents :

— Pas de danger ! pas de danger ! Y a du temps qu’il a comme ça ses petits coups de sang. Il ne mourra qu’à son tour.

J’étais en train de regarder la mer, quand soudain elle s’illumina à perte de vue d’une lueur livide, mais si violente, que je couvris mes deux yeux de mes mains pour n’être pas aveugle !

— Le voilà balbutiai-je. Je l’ai vu !

Une effroyable détonation, sèche et déchirante, coupa la parole sur mes lèvres ; le tonnerre éclatait juste au-dessus de nos têtes, renvoyant son fracas élargi et plus grave à toutes les échos de la terre et de l’air.

Patron Seveno ôta sa casquette pour dire gravement :

— Sainte Barbe, sainte Claire, gardez-nous du tonnerre.

L’équipage répondit en chœur :

— Quand le tonnerre tombera, sainte Barbe nous en gardera.

Pas un coup d’aviron ne fut perdu pour cela, et la courte prière se termina par un « Ainsi soit-il » général. En ma vie, j’ai rencontré des esprits forts qui avaient grand’peur du tonnerre, mais qui auraient eu grande honte aussi d’appeler à leur aide sainte Claire ou sainte Barbe. Nos bonnes gens n’avaient ni peur ni honte. Néanmoins quand il fait beau temps et que l’orage est loin, ce sont les esprits forts qui se moquent des bonnes gens.

Je l’avais vu j’avais vu le Judas, et c’était miracle :