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LE POISSON D’OR

loin de l’avoir dépassé, c’est à peine si nous avions gagné sur lui quelques brasses. Il fendait l’eau avec une vigueur nouvelle, et la lueur de l’éclair me l’avait montré dans cette posture particulière que les nageurs émérites choisissent pour lutter contre un courant : le corps incliné, l’oreille dans l’eau, le bras droit en avant, la main gauche décrivant un demi-cercle du sommet de la poitrine à la chute des reins. C’était à croire que nous nous étions trompés et qu’un autre avait poussé le cri de détresse, tant il semblait en parfaite possession de tous ses moyens.

Seul je l’avais aperçu. Les rameurs tournaient le dos, et un autre objet dont je vais parler tout à l’heure avait accaparé l’attention du patron Seveno. Quand l’oraison normale fut achevée, il me demanda :

— Êtes-vous bien sûr de l’avoir signalé, monsieur l’avocat ?

— Comme je suis sûr d’exister.

— C’est que ces éclairs vous en font voir de toutes les couleurs, quand on n’a pas l’habitude. À quelle distance ?

— La même.

— Oh, oh ! Il a un diable dans le corps, c’est certain ! Comment gouvernait-il ?

J’hésitai, ne sachant répondre à cette question si simple en apparence. Patron Seveno la mit tout à fait à ma portée en la traduisant ainsi :

— Les pieds étaient-ils à droite ou à gauche de sa tête ?

— Le tout ne formait qu’une ligne, répliquai-je.

— Va bien, alors ! Nage, monsieur Vincent, à la place de Jean-Pierre, qui va se mettre à cheval sur la poulaine. Nous sommes dans les eaux de Croix, par un