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LE POISSON D’OR

millier de brasses tout au plus, sous le vent du Trou-Tonnerre. Veile aux roches de Cresscorrec !

C’était Groix qui avait attiré l’attention de Seveno pendant que je regardais le Judas ; l’île de Groix que le prochain éclair fit jaillir hors de la nuit, fantôme splendide et sinistre. Bien souvent, je l’avais contemplée de loin, sombre au milieu de la riante mer, et pareille à un phoque puissant qui séchait au soleil le pelage verdâtre de son dos. De près, ce n’était plus cela. Le rapide passage de l’étincelle électrique me montra le travail des cyclopes : un château-fort d’une lieue de long, dont les murailles de granit repoussent depuis le commencement du monde l’assaut terrible de l’Océan. Je vis à ces lueurs qui creusent les ombres et donnent aux plus vulgaires objets de terribles apparences, je vis des tables énormes, soutenues par une force inconnue et pendant au-dessus du vide, des plans noirs et lisses comme les murs de diamant des citadelles de l’Arioste, des fentes béantes, aux lèvres desquelles se tordaient semblables à d’étranges chevelures, les tiges désolées des broussailles marines ; des ruines prodigieuses assez vastes pour loger tous les lutins de Bretagne, et autour de ce rêve, la mer en furie, turbulente comme une cataracte, la mer pleine de hurlements, la mer qui dispersait jusqu’aux fantastiques festons de ces créneaux les gerbes folles de son écume.

Elles étaient deux îles sacrées, Sen, à l’occident, Groix, à l’orient ; de l’une à l’autre, les génies de la tempête se donnaient la main. En ce temps-là, des forêts impénétrables, détruites par des cataclysmes dont l’histoire n’a pas gardé souvenir, couvraient le sol, partout où le feu druidique n’avait pas fait place nette pour le temple qui abritait les sacrifices humains.