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LE POISSON D’OR

Les forêts sont mortes, les temples restent, sanctuaires bizarres qui proposent l’énigme éternelle au temps perdu de la science.

Juste en face de nous se dressait un de ces sphinx informes : grossier obélisque de granit qu’on pouvait prendre pour un spectre, debout au faîte des roches.

C’était là que debout aussi, livrant aux vents déchaînés le lin de son voile et les blondes tresses de sa chevelure, la Velléda inclinait devant l’éclair les branches de gui avec la serpe d’or. C’était là.

L’orage connaissait la puissance de sa voix virginale ; les flots en courroux obéissaient à son sourire.

C’était là. Autour d’elle se rangeait le sénat des prêtres à barbe blanche. Bélénus écoutait, vautré parmi les nuées ; et la Cybèle gauloise, nageant dans le brouillard, murmurait d’incompréhensibles oracles.

C’était bien là. Le vent y garde comme un écho du sacré murmure des chênes vieillards, et voyez : à cette table inclinée que supportent trois quartiers de granit, voici encore la rigole par où coulait le sang chaud et rouge de l’adolescent égorgé. Les dieux du meurtre buvaient le sang.

Groix est restée ce qu’elle était en ces jours païens : l’île des tempêtes, la forteresse qu’assiège sans cesse et toujours en vain l’Océan. Elle n’a point de port proprement dit : on y aborde par le beau temps dans trois criques misérables où les bateaux ont grande peine à se garer ; par le mauvais temps, on n’y aborde pas du tout : j’entends les bateaux du dehors, car les bateaux de Groix se gréent avec de la corde de pendu. Les roches ne les cassent pas ; ce sont eux qui cassent les roches.

À mesure que nous avancions, l’île nous servait