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LE POISSON D’OR

et paralysé : je n’aurais pas pu faire un mouvement pour sauver ma vie. Je me crus fou, quand la masse bouillante fit voûte en quelque sorte au-dessus de nos têtes. Je fermai les yeux et mon cœur se déchira, parce que je pensai à ma maison tranquille et à mon pauvre bonheur : ma mère, ma femme, mes petits enfants…

L’arrière se souleva terriblement : il me sembla que je descendais, la tête en bas, tout au fond de la mer.

— Eh houp !

— Tiens bon à bâbord.

Une douche formidable m’écrasa, puis me mit à flot. J’aurais été emporté si une main de fer n’eût saisi ma chemise à poignée sur ma poitrine.

J’entendis qu’on riait : cela me plongea au plus profond de mon vertige.

En même temps, le souffle me manqua ; j’éprouvai la sensation d’un homme réduit à l’état de corps inerte, qui serait lancé dans le vide par un engin puissant une baliste ou une catapulte. Puis, autour de moi, tout mourut : j’étais mort.

Quand je m’éveillai, Jean-Pierre était en train de me secouer, disant :

— Eh ! monsieur l’avocat ! Eh ! monsieur l’avocat ! J’étais resté sans connaissance un quart d’heure à peu près. J’ouvris les yeux avec une peine extrême : désormais le balancement désordonné du bateau me faisait subir une véritable torture. Je dus prononcer le fameux Où suis-je ? car patron Seveno me répondit :

— Encore en vie, monsieur l’avocat… c’te damnée grand’lame nous a remorqués hors des brisants à la papa. N’empêche qu’il y fallait la façon, comme on dit, et que le vieux Seveno a donné deux ou trois coups de barre qui vaut de l’argent.