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LE POISSON D’OR

ouverts montraient une marge blanche tout autour de sa prunelle vitreuse et immobile.

Il ne bougeait pas, mais ses lèvres tremblaient imperceptiblement.

— Écoutez voir, monsieur l’avocat, me dit le patron en clignant de l’œil ; marmotte comme ça toujours la même chose. La cervelle n’y est plus du tout… Il a eu trop de petits coups de sang pour une fois !

Je me penchai au-dessus de M. Bruant, et, malgré ma répugnance, je mis mon oreille tout contre ses lèvres. Distinctement j’entendis ces mots, qui revenaient comme un refrain cent fois répété :

— Vous ne l’aurez pas ! vous ne l’aurez pas !

— Le testament pensai-je tout haut.

— Va bien, répondit Seveno, l’écrit est à bord, et le grand-père avait bien dit tout de même que M. Chédéguse pécherait, c’te nuit, le poisson d’or !

— Monsieur Corbière, prononça une voix faible derrière moi, ce n’est pas pour avoir cela que j’ai risqué ma vie !

Je me retournai vivement. Vincent de Chédéglise était couché à l’avant, sur la grand’voile. Il avait la figure ensanglantée, et de larges plaques rouges tachaient sa chemise.

— Où êtes-vous blessé ? m’écriai-je.

— Quant à ça un peu partout, monsieur l’avocat, répartit Seveno. C’est lui qui l’a voulu. Mais pas de danger… Largue l’écoute, Courtecuisse !

J’avais le testament sur mes genoux. La double feuille de parchemin était fatiguée comme si on avait fait effort pour la déchirer ; elle portait même des traces de morsures, mais elle restait intacte, en définitive, et la lueur de la lune me montrait l’écriture parfaitement distincte.