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LE VOL SANS BATTEMENT

pendant la mauvaise saison ; aussi arrivent-ils par milliers. J’ai remarqué, au reste, depuis vingt-cinq ans que j’habite l’Egypte, que tout hiver rigoureux est indiqué par la présence d’oiseaux rares qu’on ne voit pas dans les années ordinaires. Ainsi, l’année de la banquise, j’ai eu l’occasion d’acheter, pour une bagatelle, deux oiseaux qu’on ne voit pas souvent, même dans l’extrême-nord : le cat-marin (columbus arcticus) et, c’est à n’y pas croire, la grande chouette lapone. Je ne voulais pas en croire mes yeux, mais c’était bien la belle (ulula cinerea), il n’y avait pas d’erreur. Ces deux oiseaux étaient vivants et sans blessure, je les gardai tout l’hiver, et, au printemps, les ayant suffisamment étudiés, je leur donnai la liberté. J’espère pour eux qu’ils vivent encore.

Un merle qui est bien rare en France, le merle bleu (turdus cinœus) nous arrive en pleine ville, le 15 mars, et reste un bon mois chez nous.

Il est défiant comme tous ses congénères. On le voit surtout de grand matin, sur les vieilles maisons qu’il semble prendre pour des rochers, furetant, se coulant entre les pierres, cherchant sa vie avec cette circonspection cauteleuse qui est la tournure particulière de ses cousins à becs jaunes. On ne les prend pas ; ils sont bien trop malins pour donner dans un piège quelconque. C’est, en somme, un insoumis qui ne se laisse voir que de l’Arabe dont il a étudié longuement l’indifférence à son égard.

La huppe au contraire est d’une confiance excessive. Quand on habite la ville indigène, on a souvent la visite de ce ténuirostre. Ces maisons pittoresques à ne pas s’en faire d’idée ont un charme pour les oiseaux sauvages. Pour eux, les hommes qui habitent ces maisons doivent être meilleurs pour les bêtes du bon Dieu que les Européens qui vivent dans la nouvelle ville,