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LA PETITE CANADIENNE

Le garçon tendit la dépêche, fit signer sa feuille de livraison et s’en alla.

Benjamin tira de l’enveloppe la dépêche suivante :


Kuppmein trouvé assassiné dans garde-robe de la chambre de Pierre. Ce dernier accusé du crime. Avons trouvé Miss Jane…
ALPACA

Benjamin avait énormément pâli en lisant cette dépêche. Puis, sans un mot il la tendit à l’avocat qui la lut à son tour.

L’avocat aussi devint très pâle.

— Pierre assassin… murmura-t-il en levant les yeux sur Benjamin ; il ne manquait plus que cela !

De son côté Benjamin murmurait en pesant chaque parole :

— Kuppmein trouvé assassiné dans le garde-robe de Pierre en sa chambre de l’Hôtel Américain !…

Un silence funèbre se fit entre les deux hommes.

Ce fut Benjamin qui le premier, reprit la conversation.

Décidément, dit-il d’une voix sourde, tous les malheurs se coalisent contre nous !

— Est-ce que cet assassinat n’expliquerait pas la disparition de Pierre ? demanda Montjoie.

— Allons, mon cher ami, s’écria Benjamin avec reproche, j’espère bien que vous n’allez pas croire Pierre coupable d’un tel crime ?

— Certainement non. Mais j’avoue que je ne peux me défaire de certaines suppositions.

— Eh bien ! je vous le répète, nous sommes toujours plus avant dans les ténèbres d’une monstrueuse machination. Mais, tout de même, je sens germer en moi une très grande espérance. Nous possédons enfin la clef du mystère, ou je me trompe fort.

— Que voulez-vous dire ?

— Relisez la dépêche et ces mots : « Nous avons trouvé Miss Jane ».

— Au fait, c’est la femme mystérieuse !

— Oui, c’est par cette femme que nous arriverons à la lumière.

— Je le souhaite ardemment, répliqua Montjoie. Il ajouta en voyant Benjamin se lever :

— Partez-vous déjà ?

— Il le faut. J’ai plusieurs courses à faire. J’irai aussi au télégraphe pour prévenir Alpaca que je retourne à New York ce soir même.

— Vous reverrai-je ?

— Oui, si vous venez dîner avec moi.

— C’est entendu.

Après le départ de William Benjamin, l’avocat prit son chapeau, consulta l’heure et murmura :

— Maintenant, occupons-nous de James Conrad !…


X

CHEZ MISS JANE

Si notre lecteur le veut bien, nous retournerons à New York par le premier convoi en partance, et une fois retombés sur le pavé de la grande métropole, nous ramènerons notre souvenir un peu en arrière, c’est-à-dire à cette matinée où Tonnerre et Alpaca, postés devant l’Hôtel Welland dans le but de surveiller le capitaine Rutten, avaient été si étonnés et terrifiés à la fois par le rire formidable qui avait retenti hors des murs de l’hôtel.

On se rappelle que Fringer, de sa fenêtre, avait remarqué une jeune femme habillée de noir et scrupuleusement voilée, et cette jeune femme (du moins Fringer l’avait devinée jeune) avait, un instant, regardé les deux compères qui devisaient entre eux. Puis Fringer avait des yeux suivi cette jeune femme jusqu’au moment où elle s’était évanouie dans l’immense foule des métropolitains.

Fringer, alors, avait prononcé comme avec une superstitieuse terreur ce nom :

Miss Jane !

Oui, c’était bien Miss Jane ! Miss Jane… qui avait regardé Alpaca et Tonnerre ! Miss Jane… qui avait murmuré :

— C’est eux !

Et Miss Jane avait poursuivit son chemin jusqu’à l’angle de l’avenue suivante.

Là, elle s’arrêta et se mit à examiner les gens qui l’entouraient. Elle avisa un petit vendeur de journaux qui s’égosillait pour vendre une édition toute fraîche du New York Herald.

Miss Jane fit un signe au gamin. Celui-ci se précipita vers la jeune fille en criant à tue-tête… « New York Herald ».

— Veux-tu gagner un dollar ? demanda Miss Jane.

— Oui, madame, répondit avec empressement le gamin. Que faut-il faire ?

— Porter cette lettre à son adresse.

— Si l’adresse y est, c’est facile, répliqua le gamin qui s’étonnait de voir que l’enveloppe de la jeune fille ne portait nulle inscription.

Miss Jane sourit.

— Je sais bien qu’il n’y a sur l’enveloppe que voici ni nom si adresse, mais je te dirai les deux… tu me comprends ?

— Oui, madame.

Miss Jane donna au gamin le signalement exact de nos deux compères et termina par ces mots :

— Ces deux gentlemen sont précisément arrêtés en face de l’Hôtel Welland.

— Le Welland ? dit le gamin, c’est tout près d’ici.

— Oui, et c’est pourquoi ton dollar sera facilement et vite gagné. Voici la lettre, puis voilà le dollar. Ainsi donc, je peux compter sur toi ? demanda Miss Jane, tandis que le petit vendeur empochait joyeusement le beau dollar.

— Dans cinq minutes, madame, votre lettre sera à son adresse.

— C’est bon, va.

Le gamin s’élança aussitôt dans la direction du Welland. Il n’eut aucune difficulté à reconnaître les deux « gentlemen » que lui avait signalés Miss Jane.

Il s’approcha donc, toucha au bras d’Alpaca et dit :

— Une lettre pour vous, monsieur !