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bonne foi, fut également informé qu’il avait été la dupe de Marinier et le complice involontaire d’un vol. Aussi voulut-il restituer immédiatement, mais vous, Monsieur Nolet, vous étiez déjà parti sans laisser d’adresse, puis mon père, sur les entrefaites, tombait malade. Après la mort de mon père, je partis avec Maubèche pour retrouver Marinier et le premier propriétaire du domaine de la Louisiane. Voilà bientôt dix ans que nous courons le monde. Mais enfin, grâce à Dieu, nous sommes arrivés à bon port. Et voici, maintenant, Monsieur Nolet, une renonciation de Marinier à tous ses droits sur cette propriété, ses magasins et marchandises et les valeurs qu’il a confiées à son notaire, Mtre Bernard, qui, demain, vous en fera légalement le possesseur. Quant à la restitution de mon père, demain aussi je vous remettrai la somme de cent mille livres, puis vous pourrez aller reprendre possession de votre domaine de la Louisiane actuellement sous la gérance d’un intendant que j’ai moi-même choisi.

Ce disant, le jeune homme tendit à Nolet la renonciation de Marinier.

— Non, dit Nolet. J’accepte la renonciation non en ma faveur, mais en celle de Monsieur de Verteuil et de sa fille Philomène.

— Ah ! monsieur, s’écria Philomène, merci ! Je demanderai à Dieu de vous bénir pour votre générosité.

Maubèche courut serrer les mains de Nolet, disant, les yeux humides :

— Monsieur, c’est entre vous et moi à la vie et à la mort !

Alors Constance s’approcha de son père et lui murmura :

— Père, il faut être généreux jusqu’au bout : laissez à Monsieur de Chaumart sa propriété de la Louisiane !

— J’allais le prier de la garder, ma fille, sourit l’ancien mendiant.

Vautrin avait entendu, il sourit et tira de sous sa veste des papiers qu’il tendit encore à Nolet.

— Monsieur, dit-il, voici les papiers que vous m’avez remis ce soir au château, je vous les rends et vous déclare qu’ils ne m’ont pas servi.

Mais Nolet tressaillit en voyant ces papiers troués d’une balle, et il regarda Vautrin avec surprise.

Le jeune homme sourit et reprit :

— Si, monsieur Nolet, ils m’ont servi… ils m’ont sauvé la vie ! Ce trou que vous voyez dans ces papiers a été pratiqué par la balle du pistolet de Marinier.

Et l’étonnement parmi ces personnages n’était pas encore dissipé, que Vautrin continuait :

— Monsieur Nolet et vous, Mademoiselle Constance, j’ai le regret de refuser le don que vous voulez me faire de votre propriété de la Louisiane. Non… gardez-la ! Moi, je suis jeune, seul et fort, et je saurai faire ma voie. À demain, acheva-t-il en s’inclinant.

Avant de se retirer il alla à Maubèche et lui dit :

— Je vous confie Marinier jusqu’au départ du prochain navire. En retour de sa confession je lui ai promis la liberté.

— Je veillerai sur lui, soyez tranquille, monsieur !

Vautrin salua Philomène et marcha vers la porte.

— Philippe ! appela Nolet.

— Monsieur ? fit le jeune homme en s’arrêtant.

— Attendez, nous ferons route ensemble. Nous retournons, Constance et moi, à notre baraque…

Les deux jeunes filles s’embrassèrent longuement, puis Nolet, Vautrin et Constance prirent le chemin de la basse-ville.

Deux heures sonnaient.


XIII

ENTRE DEUX AMOURS


Tous trois marchaient silencieusement, chacun paraissant s’absorber en ses propres pensées. La cité était plongée dans le sommeil. À l’Est, la lune à son déclin se faisait jour entre les nuages, traçait un long sillon d’argent sur les eaux sombres du fleuve et blanchissait légèrement les clochers, les dômes et les tourelles de la capitale. Vers le Nord-Ouest les Laurentides élevaient leurs cimes noires. La nuit était calme, sereine, sans vent. Les nuages reculaient rapidement vers le Nord et le ciel s’étoilait. Or, tout en marchant, Philippe Vautrin regardait ce firmament, la lune, le fleuve, les monts lointains, et l’on eût dit qu’il demandait à ces puissances de la nature le secret de son avenir. C’est que Philippe sentait au fond de lui-même une angoisse, un regret peut-être mêlé à sa joie d’avoir enfin accompli le devoir que lui avait imposé son père en mourant. Le devoir était rempli, il ne restait plus que quelques détails de forme, et il