Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/152

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Agir, c’était aller là-bas, sonner à cette porte, me dénoncer, assister au désespoir de la mère, être l’objet de sa haine. C’était attirer sur moi tous les ennemis et tous les tracas. C’était aussi m’exposer aux revendications inévitables et légitimes, c’était payer, quoi ! disons le mot crûment, puisqu’après tout, hélas ! notre misérable nature se laisse guider, dans les circonstances les plus tragiques par le plus malpropre des intérêts.

Agir, c’était tout cela. En aurais-je le courage ?

D’un coup violent, je sonnai mon domestique.

— Faites ma malle, je pars pour le Midi.

J’étais résolu. Nul ne soupçonnait mon secret, j’étais seul en face de lui comme en face d’un ennemi. Avec un peu d’habileté, quelques distractions, le jeu par exemple dont j’avais la passion, ne me serait-il pas facile d’anéantir cet ennemi jusqu’à n’en plus garder le moindre souvenir au fond de moi ? Songeant à Monte-Carlo, je pris une grosse somme dans mon secrétaire.

Puis je sortis pour faire quelques adieux avant mon départ. Il était dix heures. Par cette froide et claire matinée de Noël, les rues étaient pleines de monde et semblaient en fête, les cloches semaient à toute volée autour des églises des idées de joie et de triomphe, des visions de petit enfant qui naît…

Des enfants ! Je ne voyais qu’eux dans la foule, comme s’ils eussent été à eux seuls la foule entière, et je pensais à l’autre, au petit de la veille. Comment était-il ? Blond ? brun ? joli ? gracieux ?…

Je m’arrêtai subitement : à mon insu, j’avais traversé le parc Monceau et suivi le boulevard de Courcelles. Maintenant j’étais non loin de l’endroit.

Je voulus revenir sur mes pas. Ce fut