Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/185

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Mais soudain quelque chose m’étreignit le cœur : je me souvenais… La veille au soir, à l’instant où j’allais placer mon revolver dans la sacoche, j’en avais été empêché par je ne sais plus quel incident, de sorte que le départ s’était effectué et que j’avais oublié l’arme précieuse.

Pourquoi cette constatation agit-elle de façon si immédiate et si profonde sur mon système nerveux, sur mon énergie physique ? Après tout, que j’eusse ou non ce revolver, cela n’avait aucune importance, puisque je n’avais pas l’occasion de m’en servir, Oui, mais il se pouvait que j’en eusse l’occasion, il se pouvait que l’individu essayât enfin de m’attaquer, il se pouvait que mes forces me trahissent…

Et de fait, rien qu’à l’idée qu’il ne le fallait point, je les sentis peu à peu décroître, s’user, s’évanouir. Vainement je me raidis ; mes jambes fléchissaient, ma poitrine haletait, mes yeux devenaient troubles et mes bras amollis se cramponnaient au guidon.

La seconde heure fut lamentable. J’allais cependant, mû par une volonté inflexible. Mais la peur me gagnait. Oui, une peur irraisonnée, sournoise, méchante, qui achevait de m’épuiser. J’avais beau me dire que l’homme devait être aussi las que moi, puisqu’il ne se livrait aucune agression, je tremblais malgré tout. Il me semblait à chaque coup de pédale que j’étais sur le point de tomber. Et alors quelle proie facile je serais pour lui ! C’était cela qu’il attendait. Il guettait la défaillance suprême. Comme il devait se réjouir !

Et voilà que des exclamations frappèrent mon oreille, tout un bruit de foule, un véritable tumulte. Je levai la tête. Et dans la blancheur de l’aube, à cent pas devant moi, j’aperçus un groupe de maisons, et des gens qui gesticulaient. Je reconnus Évrecy. J’étais sauvé. Mais pourquoi cette foule, cette animation ?

On me barra le passage, on me pressa